...après l'exposition "Henri Michaux Face à Face" au centre Wallonie- Bruxelles à Paris (face à Beaubourg)
Me souviens de ces jours où je la découvrais, puis l'oubliais, la retrouvais ici et là, pour une chanson fredonnée (Danielle Messia), pour un poète qui la tirait du néant droit (Henri Michaux), pour un philosophe contrarié (Michel Serres), pour un jeu d'amputé qui nourrissait la scène
"Gauche" et "maladroite" : voilà bien de ces mots assenant une vérité calibrée qui ne souffre pas de lenteur, de virages et de brusques dérapages. Un brevet de bonnes raisons, où s'enlise l'autre part. Qui est. Qui n'est pas. Et que moi je voulais.
Avec le temps, ne suis pas plus "adroite" mais ai apprivoisé la gauche, la paresseuse, la douteuse, la mélancolique et son troupeau de bêtes préhistoriques. Ses mots qui flinguent la bonne conduite, ses sonorités d'os en travers de la gorge, ses avalanches de cailloux en travers du chemin.
La voilà ! vaniteuse de foire ! elle fait des roues carrées, et creuse des puits de dentelle où s'engouffrent des vents d'enfance mal tournée. Que j'aime, ô ma moitié. Ma maladresse.
C'est de l'art chaque jour que jaillit l'incertitude de ma recherche. Je ne veux pas trouver.
Je veux marcher sur deux pieds, tantôt l'un tantôt l'autre, et tracer des lignes à deux mains. Lignes de vie, lignes de hiéroglyphes, lignes de mots bancals qu'un seul coté ne conduit pas. Il n'y a pas de murs, le ciel est infini. C'est la main qui le tient.
Mais de ne pas savoir, je dis : laquelle ?
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Voici donc qui fait écho à un texte plus explicatif retrouvé , sur le même thème, dans un vieux numéro (Février 1998!) de la revue "Quimper est poésie" à laquelle je collaborais ...
Plonger « au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau ». Cette injonction baudelairienne entraîne vers un ailleurs improbable et mythique ceux, poètes ou autres, dont l'amertume de n'être que soi, de ne vivre que sa vie prétendument étriquée, conduit obstinément à la quête désespérée d'un autre espace, d'un autre temps .
La « terra incognita » pourtant, et les «gouffres » si l'on veut bien prendre le risque de s'y pencher, sont parfois plus près de nous que nous ne l'imaginons. En nous-mêmes sans doute, et cette exploration-là, telle que la menèrent MICHAUX et d'autres, me fit penser un jour que l'inconnu qui dormait au fond de moi valait aussi bien que tous les voyages incertains - Ne considérant par exemple que cette moitié ignorée de ma «connaissance savante » : la main gauche (pour moi qui suis droitière).
Expérience : faire passer un jour le crayon dans l'autre main, tracer avec maladresse des signes tremblants, tandis que la « première », la droite reste sur la table comme une baleine échouée et monstrueuse, désormais inutile, mais tellement présente et encombrante, alors qu'au quotidien , l'« autre », la gauche ne me sert à rien, je l'oublie la plupart du temps.
Cette « reconnaissance » de « l'homme gauche »* a l'intérêt de faire émerger en soi une écriture étrangère, un tracé difficile qui révèlent une sorte d'expérience « brute », dépouillée de toute habileté, de toute tentative faisandée de tomber dans le convenu et le brillant. Cette application enfantine, au bord de la souffrance, à poser le signe qui échappe laisse échapper par la même occasion toute référence aux habitudes de pensées**.
L'activation de ces différents espaces morcelle notre cervelle dans son hétérogénéité, mais aussi la titille et l'excite dans sa nouveauté. Nulle pensée n'est unique, fut-ce à l'intérieur du même individu. Nos fragments d'images, de mémoires, de savoirs, de rêveries se mêlent en des cocktails toujours réinventés, et plus nombreux sont les ingrédients sollicités, plus variées les combinaisons possibles.
Une île vierge est là, inexplorée et bancale à l'intérieur de nos corps, au bout de doigts rebelles et maladroits gravant le chemin qui va du - je ne sais plus rien - au - peut-être qu'à l'orée d'un autre monde apparaîtra « l'espace du dedans »*-
*Henri MICHAUX : « 1957- se casse le coude droit. Ostéoporose. Main inutilisable. Découverte de l'homme gauche » in « Quelques renseignements sur cinquante neuf années d'existence »
**Ce qui est en jeu à ce moment c'est aussi une mise en marche d'autres connexions nerveuses, chaque moitié du corps étant commandée par des zones hémisphériques contraires du cerveau