Retour en Bretagne après une semaine passée dans la vallée de la Vézère, un des berceaux de l'humanité comme dit la pub, territoire de chaleur douce, de vallées aimables, de grottes ornées, d'architectures opulentes et nourricières, de fleuves alanguis qui font les paresseux.
Si je pensais en partant il y a huit jours, ou me détourner, ou m'enfuir, ou me perdre, il est plus sûr encore que je suis retournée vers quelque chose de moi qui s'abandonne en ces lieux que j'ignore et reconnais toujours, dans le même temps; dont j'ai été gavée, où j'ai été vraisemblablement conçue, et inscrite dans ce paysage au goût de forêt qui mêle les pins, les hêtres et les chênes, et lorsque j'y arrive, je sens cette odeur sucrée et terrible d'enfance et d'été qui couvre les collines.
Ce n'est pas rien de penser, en outre, que ces lieux où gisent dans le minuscule cimetière une bonne partie de ceux que j'ai connus, toutes générations oubliées, est aussi un espace de recherche et de fouilles pour l'homme et son cortège d'histoires arrachées aux grottes et au terreau.
J'aime bien le mot "fouilles". Il contient ce qu'il faut de mystère et de vulgarité bouffonne pour épater les galeries, préhistoriques comme il se doit !
J'aime bien "fouiller". Des manques insupportables de ma branche paternelle, il me reste cependant le relief d'une curiosité qui ne se dément pas, et qui s'ajoute au goût des secrets qu'on met au jour seulement si l'on plonge dans le marasme des couches, des mousses, de la tourbe et de l'excrémentiel. On a les fouilles qu'on peut, poches trop grandes ou trop petites, d'où l'on ramène de petits bouts d'ossements avivés de questions.
Donc je traverse depuis Les EYZIES un monde qui se tourne en boucle sur son passé.
Musées, qu'un public de gens pas si bêtes fréquentent en masse bavardes, et puis d'un coup abasourdies par un murmure venu des profondeurs qui fait taire les cancans, où s'alignent en schémas caverneux des histoires sans fin qu'on ouvre avec effroi. Car le temps de l'homme n'est pas si bref. Bref est seulement le temps de l'époque exponentielle qui nous échappe par tous les bords comme un tuyau mille fois percé. Il a fallu des millions et des centaines de mille et des dizaines de mille encore pour inventer les mots et l'ornements des pierres. Le passé dure depuis trop longtemps pour nos impatiences, nous apprenons désormais à l'aiguiser, lui faire perdre corps, à le cogner contre un mur où il devient petit, brisé, jusqu'à ce que mort s'en suive. N'ayons crainte, elle suivra promptement ! la mort du temps.
Ah! je voulais parler des mouches. Pas de sous bois, avec telle température et telle saison où elles ne prennent d'un seul coup mon visage pour cible. Je me fais l'effet d'une bouse coulant sur les sentiers. Le soleil écrasant est le seul remède. Il faut choisir entre ruisseler sous le feu de midi ou se faire attaquer sans relâche. La randonnée en est vite agacée. Mais l'odeur des feuillages ravive le bonheur insouciant. Et cette étrange sensation du marcheur qui retrouve quelquefois sur la ligne d'une pente, l'arrondi d'un virage, la silhouette d'un arbre mort une impression furtive d'ailleurs et d'autrefois. Comme si le regard et les pieds se mettaient à penser, à correspondre, à franchir d'invisibles ponts entre ici et là, hier et demain. Se rappellent soudainement un autre paysage, un autre moment, un autre chant d'oiseau, n'importe où dans le monde, n'importe quand dans ma mémoire, raccourci n'existant que pour celui qui prend le temps de la marche et retrouve le sentiment qu'il fut, et qu'il est, tout ensemble. Peut être même la rencontre incertaine avec ce plus lointain oublié sous l'épaisseur des fouilles qui surgit brusquement et vient me caresser. Tant pis pour les mouches. elles attendront que je revienne.
Partout l'humain laisse ses traces visibles ou invisibles. Je ne détourne pas les yeux, je vois les belles maisons couvertes de lauzes, les piscines en pleine cambrousse devant la moindre masure, les richesses accolées aux marques de ce qu'on appelle religieusement "patrimoine". Les routes sont défoncées, mais il faut entretenir tant de monuments et de témoignages, tant de pierres et tant d'églises. Chaque village a ses emblèmes auxquels tiennent quelques centaines d'habitants réguliers, je ne parle pas de ces résidences "secondaires" qui respirent le fric. Je ne vois que ce qu'on montre. Que connaitre d'un espace où tout est si soigneusement mis en scène, si joliment exploité, si alléchant, si artistiquement disposé ? Sublime et magnifique ! mais pas moyen de trouver une épicerie pour acheter un kilo de tomates. Comme la riche nourriture du Sud-Ouest, la présentation révèle l'excès du gras et génère un désir de frugalité... peut être au bord des rivières aller chercher de la fraicheur ? n'en croyez rien ! l'industrie propère du canoë kayak de location couvre les cingles et les méandres de pointillés fluos et de manne touristique. Il faut bien vivre quand sont partis tous les enfants, toutes les fabriques. On préserve et l'on répare. Ca fait travailler le bâtiment. Et quand le bâtiment va...
Un des plus beaux villages de France, lit on sur le panneau d'entrée. Mais oui, comme tous ces villages sont beaux! Ancienne abbaye, église fortifiée, chateaux, jardins, promenoirs, boustifaille, artisans ! Pour l"heure, j'avais oublié le 15 août et ses célébrations désuètes, l'église est pleine d'un public alléché par la promesse d'une "messe de St Hubert". Je crois que c'est Pierre Boulez à qui l'on demandait quel était d'après lui le son le plus laid du monde musical, qui répondit : le cor de chasse. Je m'échappe à temps par les ruelles empierrées de galets au moment où le premier chasseur embouche son instrument. Sauvée !
Je ne laisserai pas telle quelle cette réflexion sur le passé, le patrimoine et le Cro Magnon sans approfondir ce qui me vint à l'esprit en visitant avec émotion la grotte de Rouffignac et le musée de la préhistoire aux Eyzies. Cela fera (peut-être) l'objet d'une chronique néanderthalienne ... à suivre !