Il s'appelle Kofi, il a 17 ans, il vit à Kara sud dans un petit bout de ville entouré de savane et de champs qui ressemble à un village. A l'ouest : la rivière, à l'est la station routière, et la grande route qui traverse le Togo du Nord au Sud.
Le paysage est planté mais c'est de la vie de Kofi dont je voudrais parler...
Il n'a pas la dégaine pitoyable des enfants de la guerre qui vivent dans les camps, il n'a pas l'air de vous aborder avec le poids de la misère écrit sur son visage. Il vit comme des millions d'adolescents de tous les pays dont la voie de développement est une voie de garage, dignement et sans cris, mais quel espoir réel a-t-il de vivre des jours meilleurs? Il ne sait pas. Il attend. Il rêve d'ailleurs.
Kofi va au lycée, comme les gamins de France : c'est sa chance, même mince, d'espérer une autre vie. Classe de première : français, mathématiques, SVT, anglais, etc. enfin, comme tous ceux d'ici, oui vraiment ? Dans une classe de 80 élèves sous une tôle écrasée de soleil, sans ordinateur et sans manuels scolaires, mais quelle chance, s'il peut étudier..
A cinq heures, les muezzin des petites mosquées toutes proches donnent le signal du lever, accompagnés de coqs qui s'égosillent dans le matin. Kofi n'est pas musulman, mais ici tout le monde se lève avec le jour. Il y a tant à faire avant l'école : balayer la cour, aller chercher l'eau, bassine de 35 litres sur la tête (comptez ! ça fait 35 kgs), nourrir les poules, puis faire sa toilette entre quatre tôles et revêtir le fameux "kaki", uniforme de tous les élèves de l'Afrique. S'il ne reste rien à manger de la veille, la maman donne 50 ou 100 frsCFA (10 ou 20 cents d'euros) pour acheter une gamelle de riz et de haricots au bord de la route. D'autres avalent beignets sucrés pimentés et bouillie de maïs. Enfin, il faut bien se caler le ventre jusqu'au midi, sous la chaleur étouffante des classes surchargées où il ne fera pas bon somnoler car personne ne vous aidera à rattraper le cours ... encore heureux si le professeur ne manque pas à l'appel, poussé jusqu'au village par une cérémonie familiale, ou terrassé par une crise de palu, ou tout simplement mécontent de son salaire impayé depuis des mois.
Kofi prépare la pâte
A midi les enfants de la maison se retrouvent dans la petite cour, où il ne faut pas tarder à allumer le feu, préparer la sauce ou écraser la farine pour faire cuire les boules de pâte collante qui sont la base quasi exclusive de l'alimentation. La famille, ce sont huit ou dix personnes qui vivent ensemble, dont je ne sais pas toujours décrypter les liens exacts de parenté. La maman n'est la vraie mère que d'un seul enfant. Les autres ont, ou n'ont plus, leurs vrais parents, qui participent, ou non, au budget commun, tous ont été recueillis, ou déposés ici, frères et soeurs de familles dix fois recomposées, dont les maisons africaines sont depuis longtemps l'archétype.
Réviser les devoirs, trier les haricots, laver le linge... entre midi et 15h, en pleine heure chaude, les activités ne manquent pas. Kofi a laissé le kaki dans la chambre qu'il partage avec trois autres "frères" pour ne pas le salir. De toute façon on vit dehors, la chambre c'est juste quelques matelas ou nattes pour la nuit.
Dans la cour minuscule, les jeunes parlent "Losso", une des quarante langues vernaculaires du Togo. Ici, chacun connaït plusieurs langages, le français parmi d'autres est une langue officielle, celle de l'école et de l'administration qu'on parle seulement en temps "utile". Chacun est dévoué à sa famille, d'abord, puis à son village et enfin à son ethnie. Cela ne signifie pas qu'il existe partout des violences inter-ethniques, mais un enfant africain bien élevé connaît toujours ses racines, dont il se doit d'être fier, et voue une fidélité sans faille à ses proches ... C'est ainsi !
les haricots sèchent dans la cour après la récolte dans un champ voisin
Une bonne douche froide, au seau, puis le retour au lycée se fait jusqu'à la nuit qui tombe très vite, vers 17h30, malgré la chaleur encore vive.
Le soir, tout est à recommencer : l'eau, le bois, le feu, la cuisson de la sauce, la préparation de la pâte avec quelques instruments rudimentaires que tous, garçons et filles savent utiliser dès le plus jeune âge : la pierre pour écraser les feuilles ou les arachides, la cuillère de bois, le mortier pour piler l'igname, les couteaux qui servent à tout faire, le foyer de fer où l'on économise le bois... Depuis deux ans Kofi a l'électricité dans sa cour, un néon qui dispense une lumière blafarde. Il y a peu encore, les lycéens allaient faire leurs devoirs au bord de la route, cahiers éclairés par les lumières vives de la station service.
les devoirs d'école auprès du foyer
Sur le mur de la petite maison le frère a peint une sorte de tableau noir où les jeunes planchent sur leurs exercices avec de la craie. Le soir est consacré aux devoirs, au repas, à quelques tâches inévitables, sous le harcèlement des moustiques qui sont vecteurs du plus grand fléau sanitaire de la planète, à savoir le paludisme. Quand on n'a pas d'argent d'avance, on se soigne avec des écorces et des remèdes traditionnels. Si la maman ou le grand frère ont réussi à mettre un ou deux billets de coté, on ira à l'hôpital acheter quelques médicaments d'urgence.
La vie semble s'écouler paisiblement, toujours identique et simple...
C'est sans compter avec tout ce qui ne se voit pas : l'absence de perspective d'avenir, le manque de liberté de parole, les dégats sanitaires causés par les eaux sales et les parasitoses, sans parler du SIDA qui touche toutes les familles, même si cela ne se dit pas.
C'est la vie de Kofi, un adolescent comme des millions d'autres de par le monde.
Bien loin de nous. Et si proche !
on prend la douche trois fois par jour, même s'il faut chercher l'eau à 500m... la "toilette", c'est dans le champ de mil derrière la maison