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29 juillet 2011 5 29 /07 /juillet /2011 15:26

de passage en passage, de terminal terrestre en terminal aéroportuaire, de chambres pauvres en chambres un peu moins laides, points d'arrêt et de départ où la voyageuse sans cesse se donne et se reprend

s'oublie en quelques parts de ce qu'elle ne ramènera pas

à cause du poids, à cause du désir d'être nue, à cause de ce qui disparait de soi et de la suffisance de l'être comblé, qui voudrait bien laisser ses charges et revenir allégé de ses peurs

ces traces minuscules redisent à celui qui les trouve qu'une autre est passé là, qui cherchait son regard

et que le souvenir d'un lieu est attaché à la mémoire oublieuse des objets inutiles

il n'y a pas de sens au voyage sans le troc de chaque monde tombé dans une escarcelle ou une autre

 

à l'hôtel Almen , rue Sagarnaga de La Paz, j'ai oublié une paire de mitaines bicolores rouge et grenat. Les fils électriques font des toiles d'araignées, et j'ai le souffle court. Je contemple avec stupeur un premier tableau d'ange arquebusier au Museo del Arte.

à l'hôtel Sonia de Copacabana, au bord du Lac, j'ai laissé "la vie mode d'emploi" de Georges Pérec, en édition de poche marquée à mon nom. Je l'ai relu trop vite. Je n'ai plus aucun livre. Mais Titicaca, la Isla del Sol, et les nuages déploient leurs écritures.

à l'hôtel Inti de Puno, sur l'autre bord, péruvien, du Lac Titicaca, perdu un tee shirt gris perle, avec une bande brillante sur le devant, que j'aimais beaucoup. Il pleut. Je bois un Pisco Sour, et mange mon premier steak de lama.

sur l'île d'Amantani j'ai donné ma lampe électrique made in China qui fonctionne sur le principe de la dynamo au papa de Mari Luz, qui nous a fait dormir dans sa maison. Ciel d'encre et de glacier d'étoiles, paré pour une légende. J'improvise le vol du Condor sur la musique du même nom à la fête du village.

à l'hôtel Samani de Cuzco, je n'ai rien oublié du tout, ni dedans ni dehors. Mais décidé en prenant le bus, de déposer quelque chose dans les lieux à venir de mes passages. Le soir du jour de l'an, vu la ville s'embraser de folie et de fusées pétaradantes. Symphonie brutale et sidérante. Comme à Machu Pichu

à l'hôtel Santa Catalina d'Arequipa, laissé un pull gris en laine, de forme chasuble, un peu usé à la taille à cause du frottement de ma veste. Au crépuscule sur la terrasse contemplé la première neige sur le volcan Mitsi. Mes pieds remplis de graviers, de désert et de lagunes du rivage Pacifico.

à l'hôtel Yungay d'Arica au Chili, déposé sur la poubelle ma paire de chaussures blanches et noires, la semelle au talon réduite à l'épaisseur d'une feuille de papier, brûlée par la plage de sable volcanique. Vols innombrables de pélicans à l'arrière des bateaux de pêche.

à l'hôtel Utakala de Don Leo à Parinacota, laissé un collant brun foncé avec un petit trou sur le gros orteil droit. Le matin, dans le 4x4 de Don Leo, resté figée au pied du Parinacota stupéfiant de beauté qui miroite sur le lac couvert de glace et de flamands roses.

revenue à Arica, à l'hôtel Yungay, j'ai enfoui dans les draps, bien qu'ayant dormi par terre, un gilet bleu vert à double fermeture éclair que j'avais acheté dans un troc et puces à Concarneau. Toujours les cormorans.

dans le bus de nuit entre Arica et san Pedro de Atacama, perdu une trousse en cuir beige qui contenait un stylo à plume, des feutres à dessin et des cure-dents. En fait, ce n'était pas dans le bus, mais dans le petit bar où nous avons déjeuné de poulet en arrivant à San Pedro. Le lendemain je l'ai retrouvée

le même jour, j'ai oublié une pochette africaine contenant mon passeport et ma carte bancaire à l'office de tourisme. Retrouvée au bout d'une demi heure quand j'ai voulu payer le boleto touristique de l'excursion aux geysers de Tatio. Où j'ai ressenti le froid comme jamais avant le premier signe du jour. 

à l'hôtel Puritana de San Pedro, chambre la plus luxueuse et la plus chère du voyage, j'ai déposé dans le bas de la table de nuit un cadeau pour les filles qui travaillaient sans relâche au nettoyage : un collant noir sans pied et un flacon de vernis à ongles

à l'arrivée du bus de nuit entre San Pedro et Valparaiso, j'ai retrouvé, au terminal, l'appareil photo d'André qu'il avait laissé sur son siège Cama

à Valparaiso, à l'hôtel "maison du Filou", jeté le chargeur de l'appareil photo Panasonic que je me suis fait voler boulevard San Francisco. Avec passeport, carte bancaire, clef USB, et ma broche panthère noire, dans le sac banane multicolore acheté à San Pedro. C'est comme un peu de moi resté dans cette rue qui descend vers le port, sur le Cerro Artillera, avec mes images de Bolivie et du Pérou. Mais la ville était bien, là. Je peux lui pardonner.

à l'hôtel Bellavista de Santiago, j'ai posé un tee shirt rose très moulant et trop petit en évidence sur le lit. Le soir nous assistions depuis la terrasse à un festival de théâtre dans une cour voisine. Hôtel tout près de la Chascona, troisième maison de Neruda. Et le métro de Santiago arrose les voyageurs pour les rafraichir.

chez François à Santiago, laissé ma serviette éponge rayé rose et blanc Ted Lapidus, et un stick de déodorant qui me grattait depuis le début du voyage. Avec un drapeau breton en tissu, comme cadeau de remerciement pour son appartement.  Frédéric était là aussi, pas rancunier envers le Chili qui lui a volé ses jambes.

à l'hôtel sans nom, que j'aurais dit presque borgne, rue Quemes, derrière le terminal de Mendoza, j'ai laissé un short de toile blanc que je n'avais jamais mis. C'était l'arrivée en Argentine, la nuit on entendait une fiesta de tango dans le couloir de la maison. J'ai aimé la bière frappée et le vin des bodegas.

au Residencial Anita de La Rioja, laissé ma veste de lin écru dans un tiroir. Dans la cour d'une maison écrasée de chaleur nous avons chanté et bu avec une famille sous la treille chargée de grappes. Au terminal un jeune homme est venu m'offrir une bouteille d'eau.

à l'hôtel Residencial Royal de Salta, qui n'avait de royal qu'un nom depuis longtemps déchu, j'ai laissé une paire de gants en polaire rose fuschia trop serrés pour moi. La chambre bleue était comme une éponge sous les torrents de pluie.

à l'hôtel Frontera de La Quiaca, comme son nom l'indique, laissé un tee shirt violet sans manches à volants qui me servait de chemise de nuit. Dès l'aurore des femmes indiennes faisaient passer sur leur dos des tonnes de marchandises, toute la journée, d'Argentine en Bolivie. Ou l'inverse.

à la gare de Villazon, du coté bolivien de la frontière, André a oublié son appareil photo sur un banc après avoir pris nos billets en classe économique pour rejoindre Uyuni. Et ne l'a pas retrouvé. Passé la nuit dans le train. Oublier sa fatigue. 

à l'hôtel Cactu d'Uyuni, j'ai laissé un tout petit sac rose et violet en tissu brillant offert en 2009 par deux coréennes qui avaient dormi chez nous. La chambre n'avait pas de fenêtre, comme pour démentir l'espace indéfini de la ville sans limites.

nuit à Alota, pendant l'excursion au Sud Lipez, j'ai oublié, vraiment oublié, ma serviette de toilette jaune en matière ultra absorbante. Le soir nous avons bu du rhum avec un alsacien, tandis qu'une secte américaine venait nous faire l'article d'une méditation sur les hauts lieux où souffle l'énergie. Comme le Salar, où l'on se perd de la tête aux pieds.

la deuxième nuit dans le campement n'avait pas de nom, je n'avais plus grand chose à oublier, mais j'ai été  malade. Coliques, diarhhée. On laisse ce qu'on peut. L'eau n'est pas bonne à boire. On ne parvient pas à allumer de feu. Ou c'était la baignade à 4500m dans des eaux chaudes et soufrées. Laissé seulement un petit calendrier de la pharmacie Sébire à Melgven.

à l'hôtel Cactu d'Uyuni, avant de repartir, je laisse un short de sport en polyuréthane noir et violet, qui ne m'a servi à rien. Ciel de pluie. Immensité de tristesse. Cimetière de locomotives. Fers rouillés.

à l'hôtel Carlos V de Potosi, j'ai laissé un paquet de chewing gum, immangeable, acheté à Uyuni, et un chapeau de toile beige, rétréci au lavage et devenu trop petit. Parcours dans les mines, couleurs, vertige, horreur et magnificience. Révolte ou révolution ?

à l'hôtel Pachamama de Sucre j'étais en panne d'oubli. Mais à Tarabuco, visité un matin le marché artisanal, j'ai donné à Julio qui nous avait vendu un charango, la polaire noire qu'il m'a demandé pour un de ses enfants. Sucre trop blanche, cela refait un équilibre.

à l'hôtel Alem, j'ai abandonné, avant de quitter La Paz, les sandales dorées qui m'avaient bien servi les pieds, et deux paquets de feuilles de coca en poudre pour les infusions. Bien m'en a pris, les douaniers boliviens ont fouillé mes bagages avec une minutie particulière. Sorciers et sorcières véritables dans les rues de l'Alto. Tihuanaku et l'Illimani. Enfin. Avant le déluge tropical de Santa Cruz.

à l'aéroport de Madrid, les douaniers espagnols nous ont pris le vin bolivien acheté au free tax de Santa Cruz. Sans le décalage horaire nous l'aurions bu cul sec !  Ils ont cassé la bouteille. Pol n'aura pas son cadeau.

 

angel  Lap.26

 

angel arcabucero et masque de carnaval à La Paz

 



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commentaires

D
<br /> Bonjour<br /> Je suis David Kpelly un Togolais de 27 ans vivant à Bamako, au Mali, passionné de littérature. Je viens de découvrir votre blog par le lien de Sami Tchak. Quel coup de coeur pour notre pays! Cela<br /> peut paraître ordinaire, un blog si fortement marqué par notre pays, mais je pense que pour nous Togolais, qui sentons notre pays si petit, si étouffé, c'est un grand plaisir de voir comment vous<br /> le révélez à travers vos textes. Merci et bon travail. Le Togo vous en est reconnaissant.<br /> <br /> <br />
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  • : Chroniques, poésies, photos, créations pour illustrer mes voyages, mes rencontres avec les humains solidaires, avec l'Art et les cultures, ici et partout ailleurs. Livres parus à ce jour : "lettres d'Anisara aux enfants du Togo" (Harmattan), "Villes d'Afrique" et "Voyager entre les lignes" (Ed. Le Chien du Vent)
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