Il n'y a aucun évènement de la vie sociale qui, plus que le deuil, suscite des rituels et des rassemblements d'individus pour affermir la convention permettant à la vie, une fois ceux ci accomplis, de reprendre son cours normal et mouvementé.
tant que le mort est encore présent, la mort arrête le temps, suspendu en un point d'exclamation incrédule, douloureux, ou révolté, que le passage par un autre espace temps, celui du rite, permet de dépasser.
je ne sais pour quelle raison ces questions m'ont toujours fascinée.
quand j'étais en fac de psycho, j'avais rédigé mon mémoire de fin de licence sur le thème "la mort et l'imagination de l'au delà", ayant eu connaissance à cette époque du livre d'Anatole Le Braz "légende de la mort", alors peu lu en dehors de la Bretagne, où je ne résidais pas
j'ai plongé, avec une sorte de trouble délicieux dans l'étude des rituels au travers des cultures et des traditions mortuaires qui les accompagnent
cette rêverie symbolique et culturelle résiste-t-elle à l'épreuve de la réalité pour celui, celle, dont je suis, qui ne croit en aucun au-delà ?
ainsi divaguaient mes pensées, lundi, lors d'un deuil familial et d'une cérémonie empreinte d'un recueillement bien marqué du sceau du catholicisme le plus affirmé
comme lorsque j'écoute la musique de Bach, ou que je visite une cathédrale, mon coeur voudrait se tourner vers la beauté humaine des choses et non vers le ciel qui rajoute à la gratuité du beau et, dans ce cas, à la simplicité naturelle du rite, un sens omniprésent, étouffant, asséné et perturbateur qui fait parfois monter la colère au lieu de la pitié, le ressentiment en lieu et place de la tendresse, la révolte là où l'humanité ne devrait qu'être amour et compassion
comme si la petite maman ratatinée qui gisait dans le cercueil ne pouvait suffire à emplir ses amis, sa famille, de larmes attendries, mais qu'il eût fallu, pour faire bonne mesure, y accoler sans fin le nom de dieu et de tous ses saints pour accorder à cette vie là une once de valeur "en soi"
le rite de partage et de passage, ainsi pollué par un appel constant à l'espérance des croyants, devient pour l'incroyant un moment où le mensonge se subsitue à la beauté véridique et humaine de l'accomplissement des créations, des naissances, d'enfants ou d'oeuvres, que sont nos humbles productions et nos parcours insensés.
j'eusse aimé que le nom seul de cette petite vieille, soufflé comme une bougie qui n'a plus de réserve, demeurât un instant sur nos têtes et restât dans les coeurs sans plus d'explications et de pesants appels à l'éternité du songe au delà de la mort nécessaire.
le rite m'avait semblé autrefois ce moment universel où l'on referme un livre, chacun ayant écrit sa page, mais je ne vois nulle part où il en soit ainsi
ce que j'aimais dans mes études n'était donc pas la vision du rituel, mais celle du mort, dénudé face au silence et au vertige du mystère, sans effet de prière pour conjurer quelle peur ? sans autre lieu, espace, et temps que celui d'un arrêt où le vivant reprend son souffle, avant de repartir vers sa mort douce, panthère gracile à l'équilibre d'un arbre ignoré