Bientôt le Pacifico ne fut qu'un aplat de bleu sur la carte, tandis que l'ombre de Pablo chuchotait inaudible dans l'amoncellement des pièces et des reliques de la Isla Negra
Je tournais le dos à la plaine étroite, le bus s'enfonça vers les Andes, mouche obstinée sur le ruban des pierres vives et des virages magnétiques que les camions conjurent avec des franges cérémonielles et des cœurs enrubannés
Une voie ancienne s'effilochait en poutrelles de fer et de ponts inutiles
Voie plus ancienne encore, dernier écho d'autres voix qui cherchaient la braise d'un feu ami aux marches des glaciers, ou le pas après l'autre pas qu'il fallait arracher au silence absolu des Cordillères
De l'autre coté des couleurs, des coulées, des invraisemblances et des chaos triomphants, le fleuve peu à peu se raréfiait vers la plaine brûlée de torchères que les gauchos dressent au milieu des vignes et des oliveraies
Ce fut Mendoza
Sèche et bardée de lignes au carré : fossés, canaux d'irrigation, places mozaïquées, monuments, rues striées, arbres rangés dont les racines boivent au magma des eaux et des nappes pétrolifères que plus rien ne sépare
Mendoza, claire et blanche, que ternissait à peine les visages morts déposés sur les rues,
regards éteints des disparus, regards que la mémoire et la justice redessinent de contours amers
Lumière et tourmente sur la rigueur de Mendoza
Lumière chavirée d'un tango de sang noir
Lumière défaite d'un soir de Mendoza où s'étendit le déluge roux d'un sable de Pampa
Augure d'un autre cataclysme
le jour où Mendoza perdra les eaux dernières
De sa mère crevassée
La traversée des Andes : ce sont à peu près les lieux de l'accident du pilote de l'aéropostale Guillaumet, rapporté par Antoine de Saint Exupéry dans son livre "terre des hommes". Guillaumet transportait le courrier en avion de Santiago à Buenos Aires, pris dans une tempête son avion capota sur la Laguna Diamante, et le pilote dut marcher trois jours à travers les Andes glacées avant de trouver un secours
En 1949 Pablo Neruda fut également obligé de traverser les Andes à cheval en février pour échapper à la dictature dans son pays (voir le lien), épisode mythique qu'il évoque dans son discours de réception du prix Nobel en 1971
nuage de sable sur Mendoza