L’OISEAU MIGRATEUR ET LES TIGRES DU DéSERT
L’aventure d’un migrant Togolais en Libye
Imprimé avec l’aide de l’association AïXOS de Concarneau
du Togo au Niger
Temps et souvenirs du crépuscule…
La Libye n’était pas la cible, mais avec d’autres déceptions de la vie, on peut arriver partout à des fins imprévues. Mon aventure en Libye avait des raisons. Oui, des raisons qui me sont difficiles à démonter.
Je me rappelle qu’un jour j’avais quitté Kara, ma ville natale pour un voyage noir.
En fait, tout commença avec l’élan d’un caméléon malade, ou encore, comme une boule de feu dans du coton.
L’adolescence est un piège. Âge de folie pour les uns. Pour d’autres, période de bilan de l’enfance. Partant de là, se repérer, préparer et construire l’avenir. Dans cette épreuve, seuls les meilleurs et vaillants combattants réussissent.
Mon adolescence m’a plongé dans la confusion, dans un monde de casse-tête. Tout ce que j’ai traversé n’était que le contraire de mon enfance. L’image qui était en moi n’était que l’ombre de ce que je suis.
Confus, je n’écoutais personne, m’en prenant à tout le monde : parents, frères, amis. Je regrettais la charge que les autres faisaient peser sur moi. Les meilleurs ou excellents conseils ne m’ont pas changé. Mes parents se mettaient en colère contre moi. Des montagnes de colère de part et d’autre.
Ce que je voulais, c’était tout faire à ma façon, tout construire à ma manière et faire ce que bon me semblait. Je le confesse, c’est ainsi que je devais suivre les lignes de mes stupides désirs, et plonger ma vie dans la solitude et l’ignorance.
Il me fallait toutefois chercher ma destinée.
Un bon matin, une étoile matinale m’envoya un coup de fil venu du Niger. C’était Raman, un ami de travail. Nous avions fait ensemble l’apprentissage de la soudure. Raman avait quitté Kara pour vivre au Niger chez sa grande sœur. Il me proposait de venir travailler avec lui au Niger. Sans trop de questions, j’acceptais son offre, sans partager cette proposition avec qui que ce soit.
Un matin, de bonne heure, j’ai négocié une voiture pour le Niger.
Nous quittâmes Kara vers cinq heures du matin.
C’était là ! Je devais me frotter les yeux, tout en commençant à me poser des questions sur ce que j’étais en train de provoquer, ce que j’étais en train de laisser derrière moi, mes parents, mes frères, mes amis
Et toi. Comment faire pour te revoir, toi qui m’a donné tendresse, confiance, raison et assurance, toi que j’aime tant.
Durant le voyage ma conscience était divisée, en deux ou en mille. D’un coté mon esprit retenait mes pas, de l’autre coté je devais continuer.
Je devais vivre mon choix tout en faisant travailler ma pensée. Je devais réagir en homme. Tenir, durement, la volonté de mon cœur. Et toujours le voyage continuait.
Je cherche, je recherche, je rêve des désirs, des biens si grands, tout en tenant dur mon cœur, et en gardant à l’esprit les forces pour toujours avancer. Mon désir hautement tendu vers un objet. Un objet que je ne reconnais pas en entier. Ce désir fou pouvait toutefois me faire tomber. Même si je l’évitais. Au plafond de toutes ces confusions, j’avais peur, mon cœur sec, mon sang ne faisaient qu’un tour. Peur de me perdre à jamais.
Et toujours continuait le voyage.
J’aurais voulu expliquer tout ce qui s’est passé en route. Ça serait long.
Enfin, après Kara, Sinkassé, le Burkina, nous arrivâmes au Niger après une semaine de route.
Niger, pays musulman. Pays des Haoussas. Pays des Bjermas. Pays du désert et du soleil. Pays d’éleveurs et de grands commerçants. Pays d’accueil et d’hospitalité.
À l’arrivée, j’ai été chaleureusement accueilli par Raman, dans la petite ville d’Agadez, située au nord du pays. Ville habitée par les Haoussas, les Touaregs et les Peuls.
Je commence donc le travail comme prévu avec Raman dans un petit atelier de fabrique de portes, d’armoires et de tables métalliques. Là, les conditions de travail étaient les mêmes qu’au Togo. Je commençais à me mordre les doigts, mais comme on le dit chez nous : « Dieu reste toujours avec nous ! ».
J’étais plein de regrets quand je fais la connaissance d’un homme d’affaires libyen du nom d’Ahmed Ali qui me propose d’aller travailler pour lui en Libye. Il m’explique qu’il a une société, un grand atelier de soudure, il me parle des conditions de travail, et là, sans trop d’excitation, j’accepte son offre.
du Niger à Sahaba ( Lybie)
Nous quittons alors le Niger pour la Libye un vendredi matin.
Avant d’arriver, nous devons affronter le plus difficile. Traverser l’immense, l’incroyable et même meurtrier grand désert.
Le désert. Facile à dire. Difficile à voir et à accepter. Vaste étendue de terre, de sable illimité. Terre inhabitée, terre stérile. Ni arbres, ni arbustes. Pas d’herbe, pas de rivières. Rien que du sable et du sable. Rien que du vent et des tempêtes. Rien que du sable et des montagnes de sable.
Immensité du désert, de ce désert peut être comparable à un océan : durant notre passage, notre traversée, je n’ai cessé d’admirer cette créature mystérieuse, ce phénomène jamais vu auparavant.
N’importe qui doit avoir les yeux ronds en voyant le désert pour la première fois, accompagné de ces paysages mystérieux. Sommets de sable, sables d’océan, vents de poussières, oasis miraculeuses, soleil d’enfer, combat des fourmis sur le moindre débris, chants et accueil des oiseaux pèlerins sur le dos du fleuve de sable, sifflement du vent au coucher du soleil, rideau des étoiles à la tombée de la nuit, sourire de la lune, traces laissées par les chameaux et les bergers nomades des sables, grondement du désert, montagnes de roche dans le sable. Tout ceci ne peut être que surprenant. Bizarre et fantastique.
Tout en traversant ces vastes étendues, nous avons découverts des choses atroces : cadavres humains et animaux. Selon ce qu’on m’a raconté, ces restes d’os sont ceux des hommes qui ont tenté de pister le désert pour rejoindre la Libye. Ou de ceux qui ont été victimes des attaques de rebelles. Je me souviens, quand j’étais petit tu m’avais fait lire les aventures du « Petit Prince » dans le désert et autres horizons. En le traversant j’ai revécu tout ça et beaucoup pensé à toi.
Nous arrivâmes enfin en Libye, après une survie de cinq jours, comme un rêve. Beau pays de lumière, de la lune et d’étoiles, grand pays de classe et de luxe. Pays de vraies maisons et de belles voitures. Feu et glace.
La Libye à mes yeux était une merveille, pays de lumière.
Sahaba, quatrième ville de Libye était belle, bien plus que certaines capitales d’Afrique occidentale que j’avais eu la chance de connaître.
Ali Ahmed m’a logé chez lui dans sa famille où j’ai récupéré. J’étais bien nourri, bien logé. Mais l’incompréhensible aussi y était présent : tous les regards sur moi étaient morts, brutaux et douloureux, que ce soit du coté de sa femme ou de ses enfants, et vite j’ai compris que c’était leur manière d’être, leur mode de vie qui était tout simplement différent de chez moi.
Chez nous l’étranger est accueilli avec chaleur, bras ouverts, avec le sourire qui enrichit à l’instant même et sans tarder celui que l’on reçoit. Pour nous un regard tel que le leur s’explique par une gêne, une haine, une colère, un mécontentement ou quoi que ce soit qui est contraire à la joie. Mais des choses communes existaient aussi : un comportement semblable à celui de chez nous, c’est que les arabes, enfants, parents et étrangers mangent ensemble le même repas dans la même assiette, ce qui est commun aux habitudes de chez moi et qui a une signification hautement distinguée comme le rapprochement, l’union, le brassage paternel, fraternel et familial.
J’ai pris un repos de trois jours avant d’être présenté au travail dans la société, à l’atelier, comme un nouveau venu. Mon premier pas dans cette société m’a créé une grande peur. Il y avait tant de monde : les Égyptiens, les Marocains, les Nigérians, les Nigériens, les Tunisiens, les Algériens… tous ces gens étaient des patrons, des ouvriers, de vrais guerriers. Je voyais les travaux défiler devant mes yeux sans arrêt, sans bavardage, du travail, rien que le travail qui coulait dans tous les sens et j’eus peur de ne pas pouvoir résister à l’allure, peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas répondre aux exigences de ce travail qui était si fort. Mais tout à coup, un esprit, un encouragement d’acier me sont venus et je me suis donné des forces pour affronter la dureté.
Ahmed Ali me présenta à tous les autres membres de la société comme étant un nouveau ; tous m’ont salué amicalement. Je devais d’abord passer un test qui est le plus dur des travaux dans cette société. Cette épreuve est réservé aux nouveaux arrivants pour tester leur résistance, leur endurance, leur force et leur courage. C’est au bout de cet exercice qu’ils jugeront le sort du nouveau venu.
Le contrôleur de la société et des ouvriers, un Égyptien, m’a envoyé devant deux grosses plieuses. Je devais tourner les manivelles de ces plieuses pendant cinq heures avant le repos de 45 minutes, et c’était reparti pour deux heures, après nous prenons un repos général de trois heures, puis on revient à 16h et c’est reparti jusqu’à 21h, l’heure du retour à la maison. J’avais tellement souvent dégusté les gâteaux souffrants de la vie que j’ai réussi ce test ; avec sueur, sang, courage et os brisés. Je fus alors enregistré comme ouvrier pour un contrat de 2 ans avec un salaire peu acceptable. Mais très vite j’ai gagné la confiance de mes supérieurs parce que je connaissais déjà le métier. Ce métier que j’avais en main.
la vie au ghetto
J’ai vécu chez Ahmed Ali pendant trois mois avant de quitter sa maison pour un ghetto togolais.
En Libye les ghettos sont nombreux. Chaque pays a son propre ghetto. La vie en ghetto c’est probablement celle de la famille, celle de l’effort, de l’or, de l’enfer et de la joie. En ghetto c’est la vie du combat, la chasse des rêves perdus, la rage de se battre pour aller le plus loin possible, combattre jusqu’à la dernière minute, prêt à tout prix pour réussir sa vie.
La vie en ghetto était aussi celle de la maison, c’était comme si nous étions chez nous, au pays, dans nos villages. Nous étions plus de cent personnes dans une petite villa que nous avions louée et que nous payions cher. Mes amis m’appelaient « RASIS » parce que j’avais gardé des cheveux longs sur ma tête.
Le matin tout le monde va au travail. Parmi nous il y a des maçons, des soudeurs, des peintres, des mécaniciens… et nous ne revenons que le soir après une journée bien remplie. Chaque soir après les travaux nous préparions un dîner, c’était de la pâte de blé accompagnée de sauce tomate avec de la bonne viande. En Libye, les denrées alimentaires sont moins chères. Après le dîner vient le cercle du feu autour d’une tasse de thé vert. C’est là que naissent les histoires : chacun raconte sa vie, ses rêves, ses désirs, son combat, ses angoisses, ses peurs , sa fierté d’être un « hosla ». on parle de notre pays, de nos villes et villages, de nos familles et de nos amis, de la politique… on se raconte nos peines, nos objectifs, on se donne du courage, tout le courage nécessaire pour pouvoir avancer, tenir dur, pousser fort pour aller loin devant.
Pour la majorité d’entre nous « hoslas », l’objectif premier était de passer par tous les moyens pour rejoindre l’Europe, soit l’Italie, soit l’Espagne. Nos aventures avaient leurs raisons, chacun se bat fort pour remonter la pente sur laquelle il se trouve, pour vivre sur ses deux pieds et non pas sur un seul.
Au ghetto j’avais deux amis Aziz et Moussa.
Un jour Aziz m’a expliqué la cause de son aventure en Libye. Orphelin de père et de mère, il a grandi aux mains de son oncle qui était chauffeur. Un jour Aziz a provoqué un accident de la circulation avec la voiture de son oncle. La voiture est complètement écrasée. L’oncle n’arrête pas de harceler Aziz pour qu’il lui rende une voiture. Raison pour laquelle il s’est barré pour donner vie à l’aventure, dans l’espoir de récupérer l’argent et résoudre son problème.
Il y a des tas d’histoires que je ne pourrais finir de raconter. Au ghetto on vivait comme des frères de sang dans la solidarité et l’entraide.
Dans le pays du sable et des tigres, le vendredi est un jour béni de la semaine, c’est aussi le week-end, et au ghetto le vendredi, c’était une parfaite animation tout au long de la journée.
La vie arabe, particulièrement la vie libyenne n’est pas du tout facile. C’est difficile, difficile de vivre parmi ces gens sans caractère, sans amitié, sans considération, sans pitié, et surtout parmi des gens qui peuvent te faire du mal par plaisir, te faire battre dans la rue sans que tu aies la force de réagir, tout simplement parce que tu es étranger, te faire violer, voler et massacrer même, devant un monde inconscient qui te considère comme un mouton, comme un inférieur, un esclave, parce que tu es noir, étranger sans défense, te faire braquer par des chauffeurs de bus et de taxis. Pas du tout facile de vivre parmi ces gens qui sont tous armés, qu’ils soient militaires ou non, pas facile de vivre dans ce pays sans droits de l’homme, sans démocratie. Les jeunes ne respectent absolument rien, ni leurs parents, ni personne, les jeunes ne travaillent pas, ils sont sans âme toujours prêts à faire du mal. Et ils ne travaillent pas parce qu’ils se trouvent dans l’abondance.
Chez nous le savoir faire, c’est de vivre dans la paix. Le respect pour son prochain reste une initiation primaire et fondamentale, une éducation de base, une pitié importante qui grandira avec nous tout au long de notre vie, le respect pour son parent ou son prochain est un antidote de la nature, il ne s’achète pas, il est gratuit. Nous respectons toute personne qu’elle soir riche ou pauvre, malade ou bien portante. Le sourire, le respect, le soutien, l’amitié sont nos points sensibles, notre nature, notre initiation, notre racine, notre richesse unique à nous.
En Libye, nous travaillons et gagnons de l’argent mais c’est toujours dans le dégoût, les déceptions, le mépris, le racisme etc. Mais nous vivons avec. Chez nous on dit : « on ne gifle pas celui qui nous héberge ». Surtout que derrière nous la pente est vraiment glissante, c’est pour cela que nous nous attachons fermement. Nous voulons sauver notre vie de demain, la vie et le marasme de nos vieilles, de nos mamans qui ne cessent de se battre dans nos villages pour trouver le manger à la famille, ces mamans qui vendent de petits tas d’arachides sur les tablettes dans les rues de latérite, des vieilles qui portent sur leurs tête de lourds fardeaux de bois ou de charbon, ou qui font de petits commerces pour un maigre revenu qui servira à acheter la potasse, le piment vert ou le sel pour assaisonner une sourde sauce quotidienne et familiale. Pour ce vieillard qui doit hacher la terre avec son faible corps, chaque jour, pour une récompense misérable.
Au ghetto, chaque jour qui passe, chaque lune qui coule, chaque étoile qui brille nous donnent la force de nous battre, de pousser pour devenir des artisans de nos vies et de bonnes graines pour nos parents et notre société.
J’ai aidé les autres, j’ai soutenu ceux qui avaient besoin de mon aide. Moi aussi, les gens m’ont aidé. Quelqu’un un jour m’a aidé quand j’étais dans le besoin, quand j’étais malade, pour mes études, pour mes problèmes. Cette personne m’a donné la joie, la chance d’étudier, la force de vivre. Elle m’a appris à vivre et à grandir avec la raison et le cœur. Elle m’a appris que le bonheur n’est pas celui que l’on garde uniquement pour soi, mais aussi celui que l’on partage.
Quand j’étais petit un ami m’a dit, avec ma permission, que j’étais « coquet ». j’avais donné raison à cet ami, mais aujourd’hui ma coquetterie est devenue une étoile, loin dans le ciel que je dois retrouver, sans être capable de trouver une issue.
Je me rappelle avoir dit à maman un jour : « quand on est petit, on trouve le monde facile et très accueillant ». Mais quand on grandit, le monde devient dur et difficile. Par exemple dans notre enfance, nous rêvions d’avoir de belles maisons, de jolies voitures etc. mais avec le temps, on voit que l’enjeu est de taille, que le rêve n’est pas égal à la réalité. Non, la vie n’est pas facile, c’est pourquoi à l’entrée de notre ghetto, j’avais écrit « TO BE A MAN IS NOT EASY ».
C’était notre devise, la devise des « hoslas ».
Un jour j’avais téléphoné à un ami au pays, un ami d’enfance, un ami intime. On a causé longtemps au téléphone, et pour finir il m’avait dit : « Quimpérois, fais attention. Il ne faut pas revenir au pays. Reste en Libye, construis solidement ta vie, prends soin de préparer ton avenir là bas avant de revenir au pays, parce que le pays va très mal. ». Il ajouta : « Ici, c’est la galère, la misère, nous sommes étouffés, tous les jeunes se barrent vers les pays frontaliers, les jeunes se sauvent. C’est la course à l’aventure » . Ce jour là j’ai beaucoup pensé à tout ce qu’il m’avait dit, j’eus peur pour moi, pour mes parents, pour mes amis restés au pays, et je décidai de prolonger encore le temps de mon aventure en Libye.
La civilisation libyenne est singulière. Leur manière de pratiquer la religion était toute différente, bien que nous soyons tous musulmans. En Libye, la charia était appliquée, d’où il ressort que la sexualité est fermement interdite en dehors du mariage, et les acteurs sont punis conformément à la loi en vigueur. Les filles âgées de 13 à 18 ans sont protégées, suivies, voilées et enfermées dans les chambres attendant un bon mari, un prétendant riche qui aura une belle maison, des voitures de luxe et beaucoup d’argent. Les filles qui dépassent 25 ans sans avoir eu la chance de gagner un mari resteront célibataires pour toujours, celles dont les maris sont morts resteront veuves toute leur vie. Quant aux femmes qui travaillent dans les bureaux, au service de l’État ou du public, elles sont considérées comme des putes.
Un étranger n’a pas le droit de demander la main d’une fille d’origine, à moins qu’il ne soit immensément riche. Un jour j’ai posé la question à un Libyen de savoir pourquoi ils ne laissaient pas la liberté aux femmes de vivre leur vie, de travailler, d’être comme les autres femmes du reste du monde. Il m’a répondu avec assurance en disant : « Pour nous la femme est un être sacré, comme l’or. On doit s’occuper d’elle et la couver comme un œuf. Sa place est au foyer, elle doit fonder une bonne famille et faire des bébés. Elle n’est pas faite pour souffrir. Elle doit être protégée, aimée et respectée. Chez nous, il y a de l’abondance, nous n’avons pas besoin de faire travailler nos femmes pour qu’elles mangent ». Et il ajouta : « Si, chez vous, vous laissez vos femmes travailler, c’est parce que vous êtres pauvres ».
Sans partager son avis intérieurement, je lui ai dit qu’il avait raison parce que les arabes n’aiment pas trop qu’on s’oppose à eux. Mais je n’étais pas du tout pour son opinion. Moi je pense que le travail libère et assure, plutôt que de rester sans rien faire, ce qui est une maladie ! Même les femmes des personnes les plus riches du monde peuvent travailler.
Chez nous, enfants, parents, femmes, mêmes les femmes enceintes travaillent. Au pays des savanes et des tropiques, les femmes travaillent plus que les hommes, elles vont au champ, au marigot puiser de l’eau, elles font du commerce dans les rues et au marché, elles sont courageuses et fortes.
En Libye, il y avait une ouverture, un feu vert pour les étrangers qui veulent jouir des plaisirs sexuels. Ils peuvent rendre visite aux putes tchadiennes, marocaines, nigérianes, etc. qui se vendent comme des marchandises sur une tablette. Elles se vendent seulement aux étrangers et non aux Libyens.
La consommation de la bière, des boissons alcoolisées, et de toutes sortes de drogue est sévèrement punie.
J’avais une fille marocaine, pas une pute. C’était ma copine
Elle s’appelle Samira, elle est marocaine mais elle est née à Sahaba. Son papa est mécanicien et sa maman revendeuse de légumes au marché. Samira aide sa maman à vendre les légumes, et c’est là que j’ai fait sa connaissance. C’est une fille très belle, avec de beaux yeux, elle parle français et arabe, ce qui a facilité notre relation.
Ses parents aussi m’aimaient. Chaque soir je me promenais avec elle dans les jardins de Sahaba. On causait bien. Elle ne cessait pas de me poser des questions sur ma famille, mes rêves d’avenir. Avec elle j’ai retrouvé tellement de choses que j’avais perdues, avec elle j’ai connu le beau temps. Elle me donnait toujours le courage d’affronter le dur et de rêver encore plus. Le jour que je quittais Sahaba, elle a pleuré dans mes bras. Elle voulait que je reste encore, mais ce n’était pas possible, je devais partir.
de Sahaba à Tripoli (Lybie)
J’ai quitté Sahaba pour Tripoli parce que mon patron Ahmed Ali avait exigé la surproduction de nos produits cinq mois bien avant le Ramadan, considéré comme le mois béni de l’année musulmane. Mais la production avait largement dépassé la capacité de vente. Le marché avait chuté, et la plus grande partie des ouvriers n’avaient pas été payés pendant deux mois ou plus. Rester deux mois sans salaire en Libye alors que tu travailles, c’est la mort. Raison pour laquelle j’ai décidé d’avancer mes pas vers la capitale.
Pour arriver à Tripoli, il faudra passer par des voies frauduleuses, couper la route, traverser les barrières de douane, de police et de gendarmerie dans la clandestinité, passer inaperçu au risque de se faire arrêter, car alors c’est la prison pour nous qui sommes sans papiers.
Je suis arrivé à Tripoli un mardi vers 16h.
Tripoli la belle. Tripoli la magnifique. Tripoli la meilleure. Tripoli pas du tout facile !
Entourée par un immense désert d’harmattan et de soleil, décorée par un littoral d’anges, Tripoli, ou encore Trabos reste une lumière, une merveille, le miroir d’espérance pour tout passant ou tout « hosla ». Une ville humide promettant des lueurs d’espoir, synonyme de retrouvaille des rêves perdus. Le chemin droit jusqu’à l’oasis sous le rocher. Le chemin vers une incontestable réussite.
Mais souvent, ce que nous croyons n’est pas complice de la vraie nature des choses.
Je suis arrivé à la grande gare routière de Médine vers 16h. C’était Abdel qui devait m’accueillir, mais il n’était pas là. J’étais pris en otage entre les véhicules de Médine, dans ce monde de fourmis baladeuses, dans ce monde arc en ciel, dans ce peuple portant des crocs, entre les griffes des tigres des sables. J’eus peur d’être seul, d’être perdu cette fois pour de bon. Je ne connaissais personne. Je connaissais les tigres. Ils ne donnent pas leur chance aux nouveaux arrivants dans la forêt obscure des arbres à épines.
J’ai regardé le ciel et la terre, le levant et le couchant, le nord et le sud, je me retrouvais toujours seul, abandonné au milieu de ce monde fougueux qui ne cessait de chanter sous mes yeux de panique. J’eus les larmes aux yeux, bien que je ne pleure jamais. Des larmes chaudes d’inquiétude coulaient en moi sans que je m’en aperçoive ; j’étais comme un veau qui a perdu sa mère.
Enfermé dans ma peau, portant juste un petit sac à dos, j’avançais mes premiers pas, lentement, comme un bébé de six mois, vers une revendeuse de colliers. Elle était assise dans le corridor de Médine, voilée, et l’on pouvait difficilement lire ses yeux et sa bouche. Je l’ai salué calmement en arabe « assalam » ; et elle m’a répondu directement en français : « comment allez vous monsieur ? ». Je fus surpris car en Libye, un pour cent seulement des habitants peuvent s’exprimer en français. Intérieurement j’ai gagné des forces, la force de m’approcher encore plus près d’elle. Je lui ai expliqué mon problème : « je suis étranger, je recherche un ami qui, normalement devait être là pour m’accueillir ».
Tout aussitôt, bien avant d’avoir ramené ma langue dans ma bouche, j’ai reçu un coup de main sur mon épaule gauche. C’était Abdel. Sans perdre de temps il me dit : « Bonne arrivée, Rasis, viens, fais vite, presse toi, le taxi nous attend. Nous devons arriver à la maison avant le coucher du soleil. Ici la nuit est dangereuse, il y a des bandits et voleurs. Et nous avons 5 kms à faire ! ». J’avais senti en lui de la peur.
Le taximan nous amena à la maison, à Soukdouma, un quartier reculé du centre ville. À la maison Abdel et ses amis m’ont bien reçu. Nous avons mangé ensemble, puis partagé le thé vert. Tous m’ont assuré avec des conseils et des encouragements. Abdel me dit : « Rasis, tu dois nettoyer ta tête, te faire coiffer, te rendre propre. Je vais te trouver un travail. Bientôt tu travailleras dans un restaurant, un bon restaurant. »
J’ai passé 4 jours tout seul à la maison. Les autres allaient travailler comme ouvriers, chacun dans sa société. Ils m’ont promis de me trouver une place dans une entreprise, mais en attendant je devais commencer dans un restaurant « 5 étoiles » de Tripoli.
Je fus alors présenté à Amida, propriétaire et responsable du restaurant. Il m’a accepté en me disant : « donne moi ta carte d’identité. Tu commenceras le travail dès demain. Sois propre et élégant car ici ce sont des personnes de classe et de nombreux touristes qui viennent manger ». Il m’a expliqué mon travail qui consistait à nettoyer les salles à manger, rendre propres les tables, essuyer soigneusement les moquettes, chercher les condiments au marché et à la boutique, laver les plats, les serviettes et les carreaux etc. etc. Je commençais à 7 h du matin, pour finir à 23h. On avait signé un accord : je serai payé 100 dinars libyens par semaine, je mangeais et dormais au restaurant.
Le lendemain, je commençais le travail comme prévu. Les maîtres cuisiniers étaient algériens et égyptiens. Le premier jour n’a pas du tout été facile. « Abdou Salam (c’était mon nom à Tripoli), fais ceci, fais cela, nettoie les tables, cesse de laver les plats, va à la boutique chercher des patates, des laitues, des tomates… ». Sitôt revenu, je me mets à laver les plats qui s’étaient accumulés. « Hé, Hé, Abdou Salam… Hé, Hé, Abdou Salam… ». C’était du va et vient toute la journée. Pas un instant de repos. Ce jour là, quand le travail fut terminé, Amida m’appela et dit : « ici, le travail, c’est comme ça. Peux tu continuer ? ». J’ai répondu avec assurance : « oui patron ! ». Ce fut le travail le plus facile, mais aussi le plus fatiguant. Chaque soir je me retrouvais abattu et exténué. Tous les maîtres cuisiniers m’aimaient parce que j’accomplissais mes tâches comme il le fallait. Parmi eux, Ibrahim, un algérien du même âge que moi était mon ami. Il travaille dans le restaurant depuis quatre ans. Avec lui je cause souvent football ou politique. Il dort avec moi au restaurant. Chaque soir avant de nous mettre au lit nous fumons des cigarettes tout en causant de divers sujets.
Le restaurant ne sera qu’une petite expérience de mon parcours « hosla ». Mais je devais le quitter. Pourquoi devais-je partir ? parce qu’Amida ne tenait pas sa promesse de me payer à la fin de chaque semaine comme c’était convenu. Pour sept semaines de travail, il ne m’en a payé que quatre. J’ai exigé qu’il me paye le reste avant de commencer, mais il a refusé. Je connais bien les tigres des sables, on ne peut jamais leur faire confiance, et ils sont très dangereux.
Je suis revenu au ghetto, espérant gagner un travail dans une société. Mais en attendant je devais aller au carrefour, comme le font les autres « hoslas ». Attendre que des libyens qui ont de petits travaux à faire viennent nous chercher. Là c’est une autre expérience, une tentative à hauts risques. Les carrefours sont patrouillés par des policiers, et si par hasard ils te ramassent, c’est la prison parce que tu es sans papiers. Les bandits aussi peuvent venir te prendre dans l’intention de te donner un travail ; mais il vous conduisent loin hors de la ville pour vous piller, voler, violer, massacrer, tabasser sauvagement.
Un jour j’ai été confronté à un guet-apens : deux libyens sont venus me prendre dans une voiture de luxe Toyota pour un travail. À mi-chemin ils se sont arrêtés, me demandant de donner tout l’argent que j’avais en poche. Je leur ai dit que je n’avais rien. Ils ont commencé à me tâter les poches pour sortir l’argent. J’ai réagi de manière violente en assommant celui qui était assis derrière avec moi. Celui qui conduisait la voiture a saisi un couteau dans le vide poche qu’il m’a appuyé sur la cuisse gauche. Comme j’avais doublé mon pantalon, son coup de couteau n’a pas fait une grosse entaille sur ma cuisse. Alors j’ai attrapé la portière de la voiture que j’ai poussée de toutes mes forces. La portière s’est entr’ouverte et je me suis sauvé sur le goudron après de multiples roulades. J’ai pris le risque de les affronter ce jour là car j’avais toutes mes économies sur moi.
Pris de peur après cela, je me suis interdit d’aller au carrefour. Je suis donc resté à la maison pendant un mois et demi, attendant impatiemment le jour sacré où j’aurai la chance de gagner un boulot dans une société. Fatigué d’attendre, j’ai commencé à parcourir les entreprises une à une, pour chercher un job. Ce n’est pas facile quand on n’a pas de passeport.
Un jour je suis arrivé dans une société indonésienne. J’ai expliqué ma situation au chef. Il m’a demandé mon passeport, et je lui ai déclaré avec respect que je n’en avais pas, seulement une carte d’identité. Mouktar, c’était le nom du chef, m’a embauché malgré tout. Je fus alors engagé comme ouvrier dans cette grande et toute nouvelle société. Je devais travailler avec des ouvriers carreleurs avec un contrat d’un an pour un salaire de 550 dinars.
Dans cette société qui pouvait compter deux cents ouvriers, j’avais gagné mon pari : le travail était moins fatiguant, on était bien équipé, et le groupe des travailleurs était soudé. Pour nous africains la vie était cool, nous étions regroupés dans un dortoir et c’était une autre sorte de vie de ghetto. Chaque soir, assis autour du thé vert, nous lancions les débats, parlions de nos villages, de nos familles et amis, bâtissions nos rêves, faisions le plan de nos projets d’avenir. Généralement le « hosla » a des désirs limités, nous le savons bien, mais l’enjeu est de taille. Le grand désir d’un « hosla » chercheur est d’être à la première ou deuxième échelle de l’échafaudage, comme par exemple avoir un jour sa maison, sa famille etc.
troubles en Lybie
Une tragédie viendra mettre fin à toutes nos espérances, nous mettre les bâtons dans les roues. Ce fut la crise politique libyenne. Pourquoi ?
Tout commença par des rumeurs, et après ces rumeurs advint le triste événement. Ce matin là, le ciel sans nuages venait de s’alourdir sur toute la Libye. Ce fut un tonnerre sans éclair, un ciel de panique. La folie et un silence de martyr gagnèrent toutes les rues de Tripoli. Même un crissement de cigale pouvait être écouté dans tous les coins de la ville qui était quasi déserte, aucune mouche ne se faisait entendre sur le grand dépotoir de la place, les mains cessèrent ce qu’elles faisaient, la rivière perdit sa direction, le soleil parut ne plus exister dans l’abîme profond du ciel. Ce matin là, les travaux sur les chantiers, dans les sociétés ou les entreprises moururent. Les regards des « hoslas » s’éteignirent, laissant place à l’inquiétude, au désespoir, à la tristesse et à la grande détresse. Au passage, on pouvait voir de son coin la fumée monter au ciel, comme un feu de brousse dans la savane en pleine sécheresse au pays des tropiques. Ce matin là n’était pas celui des autres jours, c’était le feu de la montagne sacrée. Rien ne se faisait entendre. La glace avait pris feu.
Les portes des ateliers étaient fermées. J’étais calé au sommet du grand immeuble, les yeux noyés de tristesse, regardant l’immense catastrophe qui s’abattait sur toute la ville. J’étais perdu dans ma tête, saoulé par un esprit bouleversant. Je me posais d’innombrables questions qui allaient et revenaient. Je ressentais de la peur, peur de ce qui pouvait provoquer cette crise. Quel serait mon sort ainsi que celui de mes amis qui, tout comme moi, étaient sans défense aucune. Le désespoir gagna tout mon corps. L’après midi de ce jour, après la cantine, notre chef nous a rassemblés et dit : « je vous demande de faire attention à vous. Le pays est secoué. N’allez pas loin du carré, restez regroupés, et priez fort pour que le problème trouve une solution. »
Dans les jours suivants, la tension s’éleva. Mouktar et son groupe indonésien devaient repartir chez eux en Indonésie parce que sur place, la vie devenait dangereuse. De ma cachette même, j’écoutais les armes chanter le feu, les balles percer les toits et les murs. Les pneus des voitures étaient brûlés dans les rues, les hommes armés défilaient sur les boulevards de la capitale, les méchants brutalisaient les innocents, les forts causaient du tort aux faibles, les bandits envahissaient les maisons des putes qu’ils violaient sauvagement dans le déshonneur, les voleurs attaquaient les ghettos des « hoslas », les sans abris couraient sans savoir où aller, les voitures et grandes maisons brûlaient un peu partout. Impossible de marcher dans les rues tranquillement et sans crainte. Ces évènements ne furent pas du tout faciles à vivre.
Aux débuts de la crise, j’avais reçu les appels de parents qui s’inquiétaient pour moi et me demandaient de revenir au pays, si possible, pour ne pas pourrir dans les cendres de la Libye. Mes amis n’ont cessé de me téléphoner pour s’assurer de ma situation, ils ont aussi tenus des prières pour tous les « hoslas » de la Libye, pour qu’Allah nous protège du feu de ces atroces évènements.
Toi aussi , tu n’as pas manqué de m’appeler pour t’assurer et connaître mon sort en ces moments qui m’étaient dangereux. Aude et aussi d’autres amis l’ont fait également. À vous tous, j’en serai toujours reconnaissant pour cette action d’amitié qui m’a touché fort intérieurement. Chez nous on dit que l’amitié est un chemin qui ne s’efface jamais, pas même dans l’obscurité. De même la branche de l’amitié peut se courber, mais elle ne casse jamais.
Quelques jours après le départ du convoi indonésien, beaucoup d’ambassadeurs ont fait appel à leurs immigrants. Notre ambassadeur, celui du Togo bien sûr, lança un avis. Tous les Togolais devaient se rassembler dans les trois jours pour notre extradition au pays, car les violences prenaient encore plus d’ampleur. Chacun devait préparer son colis pour la maison. Le jeudi je suis allé accompagner un de mes amis à Médine, un grand marché de Tripoli pour préparer notre colis. En route nous avons été arrêtés par les hommes habillés, les policiers qui nous ont manœuvrés. Ensuite ils nous ont arraché tout l’argent, les portables et autres. Nous sommes rentrés à la maison sans rien. Vidés.
Le dimanche nous arrivâmes à l’ambassade où nous sommes restés cinq jours, le temps de nous rassembler tous et de préparer nos laissez-passer pour notre extradition en Tunisie avant le vol vers Lomé ( Togo).
Avant d’arriver en Tunisie nous devions traverser dangereusement trois villes de troubles dans lesquelles les affrontements entre « pro-Khadafi » et « anti-Khadafi » ont fait beaucoup de victimes. Nous avons rassemblé nos forces autour de notre guide pour pouvoir traverser ces zones de turbulence.
Accompagné de notre ambassadeur, nous avons quitté Tripoli vers 13h . Nous étions partis en convoi de cinq gros bus, sous la direction de nos autorités. Malgré la présence de notre guide, l’un de nos bus a été attaqué par les militaires qui ont tout pris à nos amis : argent, portables, valises, montres…
retour au pays
Nous arrivâmes en Tunisie à la tombée de la nuit, et fûmes reçus à bras ouverts par les agents Onusiens et autres institutions mises en place pour la réception des réfugiés. Nous étions dans un camp situé juste à la porte de la Tunisie. Nous étions bien traités : il y avait les dortoirs, les couvertures, le manger, les vêtements etc. accompagnés d’une bonne assistance médicale.
Dans le camp on pouvait compter plus de 20 000 réfugiés, toutes nationalités et toutes catégories confondues : vieux, enfants, hommes et femmes. Nous vivions dans des tentes installées dans le sable, dans le froid, dans la poussière. Mais au camp on pouvait manger à tous moments et à sa faim. Il y avait de la nourriture en abondance. C’était la grande vie de ghetto, on pouvait jouer au football sur le sable, faire la balade, chanter et danser au rythme de chez nous. J’ai trouvé ça super-cool.
La première partie de notre groupe, soixante dix personnes dont les vieux, les enfants et les femmes, fut admis pour le premier retour au pays juste le lendemain de notre arrivée au camp.
Pour la deuxième partie du groupe il aurait fallu un sacrifice au diable pour réussir les négociations. En fait nous ne savons pas la raison pour laquelle l’organisation chargée du rapatriement ne voulait pas nous faire rentrer au pays. Ils nous ont dit simplement : « c’est le problème de votre pays. C’est votre État qui ne veut pas vous faire partir ». Et il a fallu de multiples manifestations, de dures interventions afin de réussir les négociations auprès de l’agence d’extradition.
Un matin, un samedi en fait, notre départ fut programmé ; nous devions partir par l’aéroport de Djerba. Fine la Libye, finie la guerre, finie la Tunisie. On était pressé de retrouver nos familles, nos papas, mamans, frères, sœurs et amis.
Je me rappellerai toujours de ces moments clés de ma vie : nous arrivâmes à l’aéroport de Djerba autour de 8 heures. C’était un aéroport de classe, mille fois plus joli que celui de Lomé ou de Ouagadougou.
Ce fut la première fois, oui la première pour moi. J’étais si pressé de monter dans cet oiseau métallique et de voler, loin dans le ciel comme un pigeon voyageur aux cotés des nuages et des autres éléments composites de l’espace. L’avion était là. Je fus la première personne à monter les escaliers sous la grande inspection des agents aéroportuaires. Le capitaine de bord était là aussi, il contrôlait les billets. Il revenait aux gentilles et charmantes hôtesses de nous montrer nos places. Chacun était assis à sa place, à sa grande et confortable place. L’instant d’après nous écoutâmes dans un silence de mort le capitaine de bord donner les instructions à suivre durant le vol. les instructions données étaient claires et brèves. Ce n’est qu’après cela que le grand oiseau des airs démarra.
Je suis resté concentré sur mon siège. Je me sentais entre le ciel et la terre, entre Dieu et les anges. Un sourire gagna mon cœur.
Durant le voyage j’étais à la fois content et triste. Content de rentrer enfin à la maison, et triste parce que je rentrais sans rien. J’étais blessé dans le cœur et dans l’esprit. Je me posais de multiples questions : comment vais-je paraître devant ceux que j’ai quittés et qui attendaient tant de choses de moi ?
Au bout de quatre heures, nous sommes arrivés à Lomé, et je me souviendrai toujours de cet instant d’arrivée au pays natal. Après avoir passé les virages dangereux, les ponts étroits, les bains de sang, les épines d’acier, nous arrivions enfin à Lomé où nous fîmes une entrée bruyante et triomphale. Accueillis comme des rois, des héros. Le ministre de la défense, accompagné de plusieurs hautes autorités était là, à l’aéroport de Lomé Tokoin pour saluer notre retour.
Étaient là aussi les papas, les mamans, les amis, ensemble, pour nous accueillir. Les visages était couverts de joie, un peu partout sur la place c’étaient les accolades, les sourires, les larmes d’émotion, les mots de victoire.
Que cela faisait du bien de retrouver la vie de chez nous, la terre de nos cœurs, la chaleur et le sourire de notre cité. Deux grands bus nous attendaient, direction le centre communautaire de Lomé Tokoin. Nous sommes restés au centre pendant une semaine, bien logés et bien traités. Les autorités nous rendaient visite chaque jour, les parents et amis n’y manquaient pas non plus, et c’étaient les causeries, les balades dans les rues de Lomé, à la plage etc.
Mais en fait, chacun voulait être libre de repartir en famille. Un soir l’attaché du ministre de la défense est venu nous libérer, il a acheté un billet de bus à chacun de nous, et il a dit : « Voilà ce que le gouvernement a pu faire pour vous. Je vous demande du courage. Rentrez chez vous en paix, et retrouvez vos familles, heureux, ils vous attendent impatiemment. »
Tofik, Kader et moi avons quitté Lomé pour Kara vers 17 heures, pressés de retrouver notre ville de cœur.
Nous arrivâmes à Kara autour d’une heure du matin, sous l’excellent et fantastique accueil des hélicoptères, et la grande chaîne des massifs Kabyè, avec leur air caressant des vent de mousson. Tout le monde était là, parents, amis et proches pour accueillir les trois têtes ! C’est le cri de joie du petit Raman qui annonça notre arrivée à la gare routière. Le petit était resté éveillé toute la nuit, attendant notre arrivée, et tout le monde était là. Ils voulaient nous revoir vite. Cette nuit là, c’était la joie, les rires, les larmes, les cris de retrouvailles. J’ai embrassé ma maman très fort dans mes bras en versant des larmes chaudes.
Ce jour là, j’étais content d’avoir retrouvé tout le monde.
Mais aussi, inquiet. Pourquoi inquiet ? Comment allais-je réintégrer ma nouvelle vie ?
Acculé par un dilemme immense et insoluble à un moment critique de mon existence, je n’ai pas honte de dévoiler ma vie, c’est à dire mon parcours, à une amie comme toi qui a toujours manifesté amitié, amour et gentillesse à mon égard. Étant donné que la nature humaine ne peut échapper à certaines contingences de la nature, je me confesse pour mes défauts, erreurs, et bêtises.
Tout est venu de moi, de mon esprit troublé et orgueilleux. De moi est venu ce désir de partir. Je n’ai pas réussi, c’est tout. Je m’accuse sans en vouloir à personne. Je me juge, je me dis justement et tout simplement que c’est un échec. J’ai cherché un bien qui n’a pas fonctionné, j’ai manqué l’objet de mon désir, et je le reconnais.
Mais je ne me dis pas malheureux. Ce n’est pas parce que j’ai échoué dans ce que j’ai entrepris que je vais me rendre malade. Je m’accuse parce que je ne suis pas fier de moi, mais je garde en moi des forces de l’esprit pour continuer le combat, des forces pour me relever après être tombé. Je garde l’espoir de vivre dans la réalité de ma nature, de mon milieu, de mes espérances.
La vie est plein de conditions, et certains évènements n’arrivent pas comme nous le voulons, toutefois nous devons être prêts à vivre avec les obstacles, et remonter avec courage les pannes inattendues de la vie. Il est vrai que manquer un projet nous crée de la gêne, mais cette gêne, nous pouvons la surmonter par notre courage et notre volonté dans la mesure et la grandeur de notre vision, de nos expériences vécues dans le bonheur ou le malheur, dans le bien ou dans le mal.
J’ai échoué. Mais je n’ai pas tout perdu, et tant que j’ai une étincelle de vie, je garde toujours espoir.
Je suis revenu sans rien, mais je reste constant dans mes principes. Je ne me laisse pas faire. Je continue le combat. Aucune moquerie ne me fera de mal : tels sont les principes des « hoslas ».
Je ne me décourage pas avec des réflexions du genre : déshonneur, retour à zéro etc.
Je ne suis pas sans honneur.
Cette sortie m’a rappelé tellement de choses, comme savoir aimer, savoir partager, se sentir concerné par le bien être d’autrui, la joie et la force de vivre ensemble avec des inconnus, le courage et la force de vivre loin de ses proches, de ceux qu’on aime. La capacité de se défendre tout seul dans la grande forêt, l’envie de se chercher encore plus : cette aventure m’a révélé qu’en dehors de la forêt des arbres il existe celle du sable. La forêt des manguiers n’est pas identique à celle des baobabs. Le combat du bélier est différent de celui de l’éléphant.
J’ai connu avec cette aventure, le vrai sens de la vie. Se battre pour s’en sortir. J’ai connu d’autres terres, d’autres hommes, d’autres civilisations, d’autres manière, d’autres races. Ces instants d’aventure restent alors gravés dans ma mémoire pour toute ma vie.
Le retour à Kara, au pays, reste historique. Cela fait du bien d’être rentré chez soi, mais il est mal de ne pas se sentir à l’aise, mal de ne pas avoir une vie normale et acceptable.
Eh bien ! Qui ne veut pas faire de son lendemain un avenir lumineux et meilleur ? Personne je pense. Tout le monde veut trouver à faire et répondre à ses besoins et à ceux de sa famille.
J’ai retrouvé ma ville et mon pays de cœur comme ils étaient. Aucun grand changement à noter. Conditions de vie non acceptables. La gouvernement n’avait mis en œuvre aucun effort pour aider la population qui vit toujours dans la pauvreté et la souffrance, et qu’on utilise souvent à des fins inutiles. La galère et la misère sont toujours les repas quotidiens de nos pauvres familles. La vie de la jeunesse est mise en doute, sans espoir, sans lendemain. Les jeunes diplômés sont sans emploi, les fonctionnaires ont un salaire très maigre qui ne couvre pas leurs besoins. Les jeunes sont étouffés, bloqués dans un cercle de feu d’enfer. Au jour le jour le chômage gagne toujours plus de surface. Impossible de se sentir à l’aise dans son carré, quand on vit la galère et qu’on a le ventre creux.
Départ obligatoire des jeunes vers les pays frontaliers à la recherche d’une vie meilleure. Une fois parti, difficile de revenir au pays dans la crainte de retrouver la soupe de misère qui ravage notre pays, par peur de la mort qui n’est pas celle de Dieu mais celle des méchants. Combien de Béninois, Burkinabé ou Ivoiriens viennent au Togo à la recherche d’un travail ? un sur cent peut être, mais dans le sens contraire, sur cent Togolais, trente ou quarante sont obligés de circuler dans les autres pays d’Afrique à la recherche d’un emploi où la jeunesse sera contrainte de donner son expérience, ses connaissances, ses forces à d’autres pays.
Pour survivre.