on ne lâchera rien.
on sera heureux, juste pour faire la nique à ce qui hait
on dira oui, on dira non, mais on saura pourquoi
on aimera quand il faudra, plus souvent qu'à son tour
on poussera les vieux démons dans la fosse de l'indigence
on lèvera le poing et puis
on ouvrira les poings fermés jusqu'à ce qu'il en surgisse des chants-oiseaux
on se relèvera autant de fois que nécessaire
et jamais seule et jamais seul
on gravera sur les nuages des mots entiers qui feront taire le vent des explosions
parce qu'on le peut
parce qu'on le doit
j'ai enregistré hier une vidéo courte de l'occupation de la voie express à Quimper. Des dizaines de bras tapent en cadence sur les glissières, et ne disent rien d'autre à cet instant que l'accord absolu d'un rythme spontané : triomphe de la musique sur la bêtise !
l'espace d'un moment la route redevient savane, redevient chant
le rituel monte à la face du mépris, à la face de ce qui, là-haut, ne nous aime pas
le plus petit commun, multiple cœur, n'en finit pas de battre
le temps n'existe plus, pour un quart d'heure d'éternité, la voie est libre, on y marche dans l'air saturé, et l'on respire quand même
des vieux des jeunes, des femmes des hommes, des drapeaux des parapluies, parce que le printemps giboule quand il veut
des bras à l'unisson qui dansent la colère, sans même savoir ce qu'il y faut gagner, et si l'on va gagner
mais l'offrande fugace des palettes et des herbes fauchées, des cailloux qui martèlent, lance au-dessus, lance au ciel bouché, ce crachat de fumée noire qui exhale la puissance du nombre
qui donne le droit d'être libre, le droit d'être peuple
le droit d'être
L'éditorial rédigé par moi, sur le thème "Mains, outils, matières"
La poésie est-elle un art, un artisanat, un travail ou une inspiration déraisonnable ?
Rares sont les poètes, même issus de modeste origine, qui vécurent, ou vivent encore de leur seule pratique poétique. Beaucoup ont eu une vie nécessaire à côté de l’écriture. Cependant peu d’entre eux furent ouvriers, artisans ou paysans.
Pourtant les mots ne seraient-ils pas une matière ? Matière à travailler, à attendrir, à ajuster, à forger, à creuser, ainsi que le fait celui qui travaille de ses mains ? La poésie autorise les mots à s’accorder bien en dehors du sens, de la nécessité ou de la seule pédagogie, en ce sens, elle est un espace d’imagination qui permet tous les assemblages. Mais si le poème peut avoir cet impact déchirant sur nos émotions, sur nos rumeurs secrètes, cela ne vient-il pas de ce que nous sentons que ces mots-matière ne sont pas nés d’un pur hasard, qu’ils ont été le moment unique d’un contact entre la main qui écrit, le projet qu’elle dessine, et l’ouvrage que le poète tresse comme un fil chatoyant reliant ceux qui le lisent?
Parfois même, la poésie met au jour ce lien quasi charnel entre les objets, les travaux, les réalisations concrètes façonnées par nécessité matérielle, et ceux qui les élaborent. Certains poètes ont connu ces travaux, d’autres ont regardé avec humanité ceux qui les accomplissaient, souvent cachés, souvent obscurs, parfois même invisibles.
La poésie peut s’emparer de ce qu’elle veut. Sa mission est d’ouvrir les portes, de permettre l’illumination du réel, de rapprocher ce qui semble étranger, de nous apprendre à voir ce qui ne se voit pas. Elle transfigure le monde, avec l’outil des mots, avec la main qui les écrit. Elle fait de son élève un ouvrier du verbe, et l’appelle à débarrasser sa vie de la poussière morte et du prêt-à-penser.
la masure ruinée qui nous cadre n'est pas une masure
c'est la grange qui abrite nos vacances
ça n'empêche pas l'élégance - dit ma mère - qui nous gante et chapeaute de frais pour le dimanche à l'église du village, puis le repas à "l’hôtel du cheval blanc"
c'est le mois d'août 1955, il ressemble à ceux qui ont précédé, et croyons-nous, à tous ceux qui suivront
les maisons s'écroulent, disparaissent, comme toutes les maisons, comme le temps qui reste inscrit dans les images glacées dont on ne sait rien lire
juste fermer les yeux, juste l'odeur d'herbe sèche, la paille des matelas, la flamme vacillante du pétrole, qui tordent le passé, qui ne jouent pas les garde-fous
c'est un petit chapeau qui coiffe des souvenirs et s'enfuit en baillant car, après tout,
il ne sert plus à rien
depuis longtemps
je dis Fleuve, Majuscule, je dis rêve embarqué sur un temps qui se fait déjà loin
je dis qu'il faut aimer le monde, tout le monde, avant de le connaître
je dis que la mère des fleuves est mère et profondeur du rêve
je dis que mon désir s'est aliéné avec le monde fou, puis s'est lavé, quelquefois, de ses bruyantes salissures
et qu'il m'a transporté sur les eaux, les racines, les insectes fouisseurs
le creusement et l'offrande,
de ce petit bateau qui s'écoulait, tranquille
sur le Fleuve Amazone
J'ai toujours aimé l'automne des villes, cette complémentarité du naturel et de l'artifice, des rousseurs humides et du bleu verre
"Je voulais contempler ma ville d’un œil moins usé. Avec les mots de Georges Perec, qui appartiennent à tous. Avec un simple téléphone comme chacun en possède un pour capter les images. Ne pas faire œuvre photographique, ou poétique. Avoir le regard simple et chuchotant de celle qui avance. Le profil bas comme on dit, de qui sait peu de choses et marche sans relâche vers ses apprentissages"
Le reportage réalisé à cette occasion est accessible en cliquant ici sur CALAMEO
Bonne balade !
* Si tu marches longtemps, ne crains pas la poussière
* Le vent riait, il amena tes pas l'un après l'autre. La liberté du solide fut offerte. La terre était joueuse
* D'abord, il fallut se nouer dans la foule qui marchait sans savoir. Le ciel était profond. Ta colère a brûlé et couvert les abîmes
* Tu étais seule, tu as cherché le temps. La rumeur d'un fleuve appelait sur la terre étrangère. Rien n'avait de limite
* Tu t'es retournée, le chemin était lourd. Plus de repères, plus de saisons. La poussière avait changé de peau
* Tu ne reviendras pas de la soif. Et des nuages. Il reste un peu de sable pendu à l'horizon.
* Il te reste tes pieds. Alors...
De quelle obscure familiarité se sent-on habitée lorsqu'on déchire le voile des univers parallèles et des artistes imaginaires ?
De quel réconfort soudain se sent-on envahie lorsque les formes tout à coup vous caressent, vous interrogent, et vous rassurent étrangement, tant sur votre faiblesse que sur la certitude qu'aucun monstre de fer et de cuir ne sera jamais aussi démoniaque que l'humain lui même ?
J'ai habité l'antre des monstres et n'y ai entendu que des chuchotements fertiles, n'y ai vu que des rêves enfouis, n'y ai trouvé que des échappatoires nécessaires, n'y ai touché que des berceaux de nuit où le jour n'avait pas encore de nom.
Tous les obstacles cèdent à l'émotion, tous les contraires deviennent possibles. On veut demeurer dans la noirceur des cryptes, dans la musique viscérale qu'un cliquetis fantôme rend à sa vraie nature. La paix des songes véritables, débarrassés de la peur du réel, débarrassés des hurlements productivistes et destructeurs. Le retour à l'éternité.
Ce jour-là j'entrais dans l'intime création et la trouvais plus belle encore : l'huile des mondes parallèles consolait de la terre, le crâne s'envolait à l'écart des épaules. Il y trouvait une place.
le Naïa Museum, musée des arts de l'Imaginaire, est installé depuis 2015 dans le chateau de Rochefort-en-Terre (56)
Fleuves, rivières, sources, rias, ruisseaux, on ne se lasse pas de les suivre, d'en découvrir un sens qui soit à sa portée, qui n'écrase pas, ne défie pas, convient à l'âge et aux pensées secrètes, non sans surprises, non sans tourbillons, mais constamment accessible. Ah! la constance des fleuves : ils nous mènent toujours en des lieux d'humaine résidence et de rencontres. Ils tracent et modèlent depuis des millénaires. Je les aime, et retrouve avec le même bonheur leur parfum de roseaux et leurs cailloux dorés.
Voici le Doubs, noir de galets polis et de mousses ardentes, en fil, en nappes, ou lac brisé sur de mourants écueils
Douce gorge de pierre, qui culbute en silence les mots inconnus de l'origine. La langue coule et s'infiltre en brumes éclatées.
Il pleut, il gèle, parfois, il fume de vapeurs salées sur la rigole sèche du temps sauvage.
D'où viennent sa course anguleuse et ses détours pensifs ?
On ne sait rien du trou de roche oublié des regards. On ne sait rien des fleuves, des origines, des méandres.
On voit se perdre les eaux. On voit naître la chute. Ou bien mourir ce cœur usé qui n'a plus peur du vide.
Il arrive, souvent, d'oublier : un nom, un lieu, un air de musique, un livre autrefois lu. Il semble parfois que ce qu'on n'oublie le moins tient aux sens les plus primitifs: odorat, gout, sonorité (et non mélodie)... Ressenti profond surgissant contre toute attente : j'ai déjà éprouvé, déjà entendu, je suis déjà venue..? Tout est enfoui. Tout est là. Qu'on s'en souvienne ou non n'est pas l'essentiel.
Mais il faut parler d'une autre mémoire, reconstituée, réinventée qui pourrait soutenir tel projet de "Mémoires" ou le désir de les écrire. Magnifier le mensonge et l'erreur de la reconstitution par le chemin de l'écrit qui, toujours, s'éloigne du vrai, du vécu.
Par le jeu du retour effectif sur un passé révolu - revenir à tel endroit, revoir tel film, rencontrer quelqu'un qu'on avait oublié, ou presque - arrive alors une étrange confrontation avec soi-même, avec ses souvenirs, avec sa mémoire assumée dont on se croyait certaine de la fiabilité et qui tourne au désastre et à l'incompréhension. Je ne suis jamais allée ici, où j'avais la certitude de mon passage, j'ai oublié et transformé la fin d'un récit, d'un film, d'une histoire lue ou entendue, j'ai fait erreur sur la personne, inventé, reconstruit, clamé une vérité qui s'effondre une fois la preuve en main!
On ne cible pas ici une faiblesse de l'acte de "mémorisation" qui serait due à la défaillance de l'imprimante cérébrale. Ce dont on parle est arrivé, il y a longtemps, on en est sûr, quand la mémoire était vaillante... et la tête l'a ré-écrit comme elle l'entendait.
Alors, quel témoignage mérite de figurer dans mon histoire? J'ai vu ceci, ou j'ai cru le voir, mon œil a recadré, en photographe diligent, cette image, cette scène unique et signifiante et, face aux preuves indubitables, se trouve absolument désemparé, se referme sans gloire dans la noirceur d'un récit surfait et mensonger.
Quel crédit accorder à ces souvenirs, ces affirmations, ces relations d'évènements tronqués et délirants, à l'incertitude qui brusquement envahit ce qui fut, ce qui fut moi, ce qui fut ma vie ? Le projet d'écriture du passé recomposé s'en trouverait vacillant dès le premier mot sur son socle de marbre attaqué par l'acide du passage temporel.
Quel crédit à toute histoire, à l'Histoire même qui prétend exposer ce qui a été vécu, parfois oublié, puis rétabli. A ce que , surtout, l'on n'a PAS VU, PAS ÉCOUTÉ alors que c'était à portée, juste devant le regard, juste à portée des oreilles qui, avant même d'enregistrer, se tournaient ailleurs et composaient le paysage et le texte et le film d'une autre vie qui n'a jamais été ?
Nous sommes fait de l'étoffe des songes, disait le grand William, comment acceptons- nous que ce rêve soit immiscé jusque dans nos souvenirs les plus marquants, les plus sincères, les plus explicites ?