parce que nous aimons ce que nous construisons
parce que nous ignorons ce que nous détruisons
parce que.
c'est un port
sous l'envol du béton
une aire de l'inutile
un florilège de boites empilées
c'est un port
et c'est encore un rêve
comme nous les voulons
rêves légers qui n'écrasent jamais les berges asservies
rêve de beauté
car nous aimons ce que nous questionnons
car nous aimons ce que nous détruisons
tout nous emporte
tout nous retient
quand même
parce que c'est de nous
et de nos mondes trop humains
la masure ruinée qui nous cadre n'est pas une masure
c'est la grange qui abrite nos vacances
ça n'empêche pas l'élégance - dit ma mère - qui nous gante et chapeaute de frais pour le dimanche à l'église du village, puis le repas à "l’hôtel du cheval blanc"
c'est le mois d'août 1955, il ressemble à ceux qui ont précédé, et croyons-nous, à tous ceux qui suivront
les maisons s'écroulent, disparaissent, comme toutes les maisons, comme le temps qui reste inscrit dans les images glacées dont on ne sait rien lire
juste fermer les yeux, juste l'odeur d'herbe sèche, la paille des matelas, la flamme vacillante du pétrole, qui tordent le passé, qui ne jouent pas les garde-fous
c'est un petit chapeau qui coiffe des souvenirs et s'enfuit en baillant car, après tout,
il ne sert plus à rien
depuis longtemps
je dis Fleuve, Majuscule, je dis rêve embarqué sur un temps qui se fait déjà loin
je dis qu'il faut aimer le monde, tout le monde, avant de le connaître
je dis que la mère des fleuves est mère et profondeur du rêve
je dis que mon désir s'est aliéné avec le monde fou, puis s'est lavé, quelquefois, de ses bruyantes salissures
et qu'il m'a transporté sur les eaux, les racines, les insectes fouisseurs
le creusement et l'offrande,
de ce petit bateau qui s'écoulait, tranquille
sur le Fleuve Amazone
Mon ami Schubert, j'écoutais ton quatuor N°13 en la mineur, et ma main courrait sur le papier pour gribouiller des sons noircis venus des profondeurs. Que j'ai voulu graver, comme ta musique, gravée, attachée aux cordes étendues que tu fais vibrer depuis le sombre néant. En mode mineur comme il se doit.
émergence / fracture / os
point de fortune et d'infortune
frappe le temps / pique l'ombre des pleurs des espaces des retours
le corps ténu émerge des marais / vers le haut / vers le haut
le ciel marche de cheveu en cheveu
parvient au bord de la pauvre caboche / de la pauvre douleur/ et de l'obstination
puis s'en revient, le ciel / et se rit de lui même
nous explorons les cavernes fécondes, l'ombre lisse, la terre du lendemain,
de main en main nous mêlons le vent, la graine, et l'horizon famélique
qui rendra compte à l'été de moissons inespérées
l'autre à présent s'échappe/ se frange de pureté limpide
danse et disperse les poids enchevêtrés
toute la place revient à la musique
* Si tu marches longtemps, ne crains pas la poussière
* Le vent riait, il amena tes pas l'un après l'autre. La liberté du solide fut offerte. La terre était joueuse
* D'abord, il fallut se nouer dans la foule qui marchait sans savoir. Le ciel était profond. Ta colère a brûlé et couvert les abîmes
* Tu étais seule, tu as cherché le temps. La rumeur d'un fleuve appelait sur la terre étrangère. Rien n'avait de limite
* Tu t'es retournée, le chemin était lourd. Plus de repères, plus de saisons. La poussière avait changé de peau
* Tu ne reviendras pas de la soif. Et des nuages. Il reste un peu de sable pendu à l'horizon.
* Il te reste tes pieds. Alors...
Elles surgissent du sable, des eaux, des corps morts, des roches cinglantes, traversées de chairs brûlées, gardées par le sel du temps, élevant parfois des comptines accordées à la marche et aux jours.
Peu à peu, j'en comprends le sens enfoui qui soulève la croute de mes illusions. "Au passage, prends-moi, disent-elles, emporte-moi dans l'autre néant de la cave et de la maison jaune!"
Souvent, j'obéis, chargeant mes poches, mes sacs, mes regards, de fragments arrachés aux grandes cicatrices du voyage.
Elles ne s'arrêtent pas là. Lorsque je dors, elles secouent la nuit de gémissements reconnaissables. "N'oublie pas que tes rêves se sont nourris des chemins parcourus. Que reste-t-il de nous ?"
Elles se lèvent encore et sarabandent au fond de la lumière, qui n'est pas une lumière, mais une diagonale d'atomes oubliés, une forme expiatrice des ravages et des incendies de la petite histoire.
Parfois je leur réponds, et parfois les ignore.
Quand le capharnaum monte et remonte jusqu'au cadre, je les enferme sans pitié pour leur vie sans objet. Elles-mêmes devenues objets, les Chimères rêveuses se laissent apprivoiser.
Et moi je dors tranquille.
La cadence des pas déplia un catalogue de mots incertains. Certains filèrent sur la route où le chuintement de quatre pneus les réduisit au silence. D'autres coururent jusqu'au fossé avec des mines éperdues de feuilles mortes. Sur un branchage aux allures de phasme déglingué, je vis scintiller le mot "NUIT". Il appelait une ombre imminente qui tomba, en effet, lourdement, et m'encastra, moi aussi, dans la pluie sans couleurs.
Il était temps de rentrer.
Plus tard, je cherchai en vain, sur ma page blanche, les phrases égarées.
Elle ne révéla qu'une catacombe de poèmes évanouis, de crânes, de cisaillements de dents d'où suintaient des lettres mortes.
Avec la complicité de Aude, graphiste et éditrice "le chien du vent", un nouveau carnet voit le jour ...
Lorsqu'on écrit sur le voyage, extraordinaire aventure ou simple traversée d'un nouveau quotidien, on fait des phrases avec ses pieds. On suit des routes, ou des rails. On emmène avec soi d'autres lignes évadées d'autres livres, d'autres phrases martelées par d'autres pieds qui marchèrent, écrivirent, suivirent d'autres chemins que les siens.
J'ai emprunté ici quelques lignes amies : Rimbaud, Kerouac, Michaux, et beaucoup de rails luisants. Lignes. Le même mot, et pour moi, le même Usage du monde, comme disait Nicolas Bouvier, que chacun raconte à son image.
Mais le temps du voyage n'est pas le temps de l'écrit. D'abord l'action : on marche, on laisse filer la pensée, on regarde, on éprouve. Viennent ensuite les notes d'un court décalage temporel : carnet, soir, lecture, nuit, souvenirs, lendemain. Enfin, revenu chez soi, le texte lève, après des semaines, après des mois, tentant de se charger des trois moments : l'instant, l'écriture, le vagabondage littéraire. Ainsi met-il en correspondance images, réminiscences, moments d'évasion déjà vécus ailleurs, déjà couchés sur d'autres pages, qui donnent corps aux sentiments, aux impressions. À toutes les lignes qui se sont tracées dehors / dedans, jusqu'au récit final.
Cailloux, poèmes, lectures, photographies. Le voyage est écrit dans sa multiple nécessité.
sur le principe du cadavre exquis : prendre un carnet japonais en accordéon, dessiner, écrire, plier la page et revenir le lendemain sans regarder ce qui a été fait la veille !
Champ de ciel en odeur de ruines / qui revivait là sans se douter / des eaux, des os, des vents / et des ombres vivaces elles aussi / qui renaissent à chaque / saison / et puis...
c'est l'exil surgi / du néant blanc / qui dit vague / et se noie malgré / la nageoire / dentelée / des abysses / alors même / que l'espace / insurgé nous /promet cette / pluie/ d'étoiles
mais / ne dit-on pas / de la pierre / qu'à son tort / défendant / elle se croit / éternelle
c'est à la toile fine des dentellières / que j'ai cousu / chaque saison / chaque grain / chaque espérance
mais le feu, mais le déluge / mais le noir vaisseau / mais le sang / ont pris toute la place/ du regard / qui s'éteint / qui s'éteint / qui ne parlera plus / des eaux moins / vivantes/ et des murs / maculés d'insectes morts
une nuit / tropicale où/ la lumière/ même recluse/ ne dit / plus/ rien / et / crie/ et/ tombe
même si / la fleur rentrée / de l'agonie / et du sourire / ne parlent / plus du / temps / même si / le / chant s'effrite / et retombe / en écailles / de / larmes / et se / couche / en / découpes / d'images / éventrées
la ville dort sur mon cou et marque / toutes les secondes
D'abord fermer les yeux
Laisser l'ombre trembler au bord des cils
Apprivoiser le ballet des phosphènes
Attendre...
On dit que la nuit engendre des monstres blancs
Mais derrière les paupières
Se déploient seulement l'exercice du vide
Et la poussière d'un rêve éteint