Il y a quatre villes, piliers de ciel, qui habitent le nom de Quito
La ville bariolée de couleurs imaginaires qu'on ne retrouve pas, même en fouillant chaque ruelle. Celle d'avant le voyage. Elle est déjà passée.
la ville répandue, échappée, jeu de cubes au hasard des quebradas, des précipices, des ponts, des failles, des cassures, des escaliers, des ascensions, des coupoles. La ville qu'on nomme avec les pieds, le souffle et le présent.
La ville noire surgie des couches telluriques, qui tremble sous les pavés, interroge et ne répond jamais. Qui se réveille en vomissant des ombres .
La ville des nuages. Elle reste encore longtemps quand on tourne le dos.
Je ne sais laquelle je préfère.
Chacune compose un plan de visages et d'images, de mots et de murs que le magma tient à la verticale, et parfois consume, et parfois redresse.
Les quatre noms de Quito sortent et renaissent tour à tour, de l'abîme ou du cratère, avec un bruit de cœur-marteau, une ivresse de fanfare ou un bouquet de pétards crépitants.
Puis, ils dansent sur les volcans, et c'est la fin du rêve de Quito.
Restent les mémoires vives sur la courbure des vallées
l’œil coupant décharne toute vie jusqu'à l'aiguille
il n'y a pas de ciel, rien que le vent
il n'y a pas de traces, rien que le sang indien colorant la terre assoiffée
j'ai cherché les Mohaves, les Paiute, les Chemehuevi, les Chumash, les Tipai, les Taaqtam, les Kawaiiasu
j'ai cherché l'arbre tordu qui disait le chemin. celui là-même qui hachait le vieux monde
j'ai trouvé le froid inconnu d'une beauté sans mélange
cela suffira-t-il à raconter l'histoire ?
La ville s'enroule en écailles de brume et de feuilles luisantes avec la douceur des grands iguanes ou des serpents de mer qu'on a rêvés sans trop y croire.
puis elle surgit des hauteurs et s'éveille entre deux eaux, entre deux ponts, et se déploie d'arcades en arcades, de rues en rues, de glissades en croche-pied de fils noués
chaque impasse se soulève, chaque maison vibre et le ciel s'évanouit vers l'arc des couleurs qui claquent à tous les vents
les tours, les môles, les rails s'ébrouent en gerbes d'air doré
alors, la Sirène se lève, le jour ondule, le moteur ronfle,
et c'est un autre matin de pluie qui lave et répand sa fraîcheur sur la barbarie de nos illusions
la ville enfin s'éclaire, comme le pas du marcheur à la conquête des légendes
c'est le cœur : le marteau qui cogne, qui bouillonne
c'est le buisson ardent : les tombes emportées par le ruisseau des feuilles et la brume violette des draps condamnés aux champs d'honneur
car l'honneur s'est perdu et le tourbillon glisse en fourneaux refroidis, en ardoises, en voies de fer qu'on a déshabillées
après c'est le silence
le fleuve méandreux traverse le ventre pâle des vallées endormies où demeurent
l'accointance du ciel avec le métal, la vérité de l'eau qui s'embrase sans le dire, le souvenir d'un oiseau noir, le grondement d'une cohorte de mots abandonnés et de voyelles orphelines
jetées une à une dans la rivière si plate, si terrible
qu'on rêve de la déchirer
D'une série de 6 gravures sur Rhinalon , intitulée "monstres marins", j'ai choisi deux gravures originales de chaque épreuve pour réaliser un livre d'artisan en 2 exemplaires.
tentacules nouées à l'encre des abysses, fleur de roche et de sel
il marche à l'envers où le ciel ne l'atteint pas
on croit dans un frisson de vagues
voir poindre l’œil de stupeur et la douceur muette
je ne sais lui parler
d'ailleurs il n'entend pas
son soleil variable est l'inconnue d'une équation de rêves et de coquilles
qui valent bien la soie d'autres fourrures
quelle noyade céleste ?
quel pâturage, ou chambre forte au fil de plomb ?
je ne crois rien de lui sinon qu'il ne dort pas
ou bien écho barbare des nuits qui croquent les baleines
ou bien mangeur de poussières mauves
chaque soir le retrouve calé au bord de nos regards, de nos questions glissantes au tournant du visible
mais ailleurs qu'y a-t-il ?
sinon la friche de nos crânes empâtés de tourments ?
le monstre n'est pas celui qu'on dit
le monstre / se montre / un instant / disparait / à jamais / qui l'a vu / qui l'a cru ?
éclat de pseudopodes au ventre mou qui traine des casseroles enluminées
monstre va-t-en / je n'ai plus rien à dire / je t'effacerai d'un coup /
si je voulais
à ceux qui ont franchi le pas vers le monde inversé
s'étonnant des rochers où brillent des yeux morts
et voulant retenir les étraves et les routes d'écume
qu'ils mâchent en silence
et sachant, déjà, que les tombes y seront perdues
sauf
si nous osions encore une fois écrire
leurs noms de poussière remontés des hauts fonds.
je demande seulement :
en avons nous le droit ?
Est-ce que les mots donnent quitus à la cruauté des falaises ?
Ces traits, ces bourrelets d'encre échappés des ressacs
que diront-ils des bancs de sable où leur espoir s'abime ?
Je voulais que ma douleur fut tienne
elle ne peut pas.
elle ne sait rien de l'ombre et de la plaie
de l'infâme loterie
de la terreur où croule ta jeunesse
elle ne livre que des mots en creux de lames
Qu'en ferais tu ?
Qu'en ferons nous ?
Maintenant. Cadeau éphémère de la seconde traversée
Maintenant. Rien ne tient que le seul désir d'être
Un présent de sable qui vaut son pesant d'or.
Présent. Échange. Larme sur le carreau pour arrondir le ciel
Souffle d'air en équilibre d'inspiration.
Soixante fois par minute. Ou plus ou plutôt moins. Sans s'arrêter pourtant. Sans vouloir plus que l'égalité du silence avec le tohubohu des douleurs arrachées
Le présent n'est pas un vœu. Il ne parie pas sur l'avenir.
Il est passé sans bruit.
A laissé le matin ouvert sur d'autres questions, d'autres grains de sable en travers des machines, d'autres rayons sur le miel d'une main qui se cherche, d'autres lunes de ce soir-là. Justement.
Et puis. Il n'est plus rien
A nous, donc, de choisir ?
A tout prendre, je ne choisirai pas.
Abondance. Trop plein.
Présente ! Cela suffit.
Elle a dit :
maintenant, je laisse, je file, j'arrondis le vide autour de moi. Je cesse de vouloir.
C'est
maintenant
la plongée sans le remords, la scène qui s'effrite sous la pluie.
Le petit théâtre est emporté à toutes jambes et les bouts au dessus font une forêt de lianes incontinentes,
dessous, la voilà qui flotte comme le grand lys blanc d'Ophélie dans l'eau tiède et vaseuse de l'oubli
Maintenant c'est un rond de projecteur sur le cirque de velours
et du sable, et des mots de sable coulent doucement tout autour de la lumière qui crisse
il n'y a plus de sens, plus de vent, et donc, plus de girouettes
qu'un grand silence venu d'autre part qui ne saurait s'effilocher.
Les mots se tiennent encore un peu, et leur compacité fait une ombre en coulisses
Maintenant c'est bien fini, dit-elle
relâche relâche relâche.
On ne joue plus