parce que nous aimons ce que nous construisons
parce que nous ignorons ce que nous détruisons
parce que.
c'est un port
sous l'envol du béton
une aire de l'inutile
un florilège de boites empilées
c'est un port
et c'est encore un rêve
comme nous les voulons
rêves légers qui n'écrasent jamais les berges asservies
rêve de beauté
car nous aimons ce que nous questionnons
car nous aimons ce que nous détruisons
tout nous emporte
tout nous retient
quand même
parce que c'est de nous
et de nos mondes trop humains
ceux qui partent
ceux qui restent
tous les mêmes
à vouloir rattraper le temps qui fait sa malle
où l'on n'emporte rien
que
des illuminations, des chimères, des regrets
et puis il advient
le grincement d'un train sur les rails infinis
et le bout de la route
où l'on n'arrive jamais,
dont on ne revient pas
c'est comme ça !
je dis Fleuve, Majuscule, je dis rêve embarqué sur un temps qui se fait déjà loin
je dis qu'il faut aimer le monde, tout le monde, avant de le connaître
je dis que la mère des fleuves est mère et profondeur du rêve
je dis que mon désir s'est aliéné avec le monde fou, puis s'est lavé, quelquefois, de ses bruyantes salissures
et qu'il m'a transporté sur les eaux, les racines, les insectes fouisseurs
le creusement et l'offrande,
de ce petit bateau qui s'écoulait, tranquille
sur le Fleuve Amazone
* Si tu marches longtemps, ne crains pas la poussière
* Le vent riait, il amena tes pas l'un après l'autre. La liberté du solide fut offerte. La terre était joueuse
* D'abord, il fallut se nouer dans la foule qui marchait sans savoir. Le ciel était profond. Ta colère a brûlé et couvert les abîmes
* Tu étais seule, tu as cherché le temps. La rumeur d'un fleuve appelait sur la terre étrangère. Rien n'avait de limite
* Tu t'es retournée, le chemin était lourd. Plus de repères, plus de saisons. La poussière avait changé de peau
* Tu ne reviendras pas de la soif. Et des nuages. Il reste un peu de sable pendu à l'horizon.
* Il te reste tes pieds. Alors...
Elles surgissent du sable, des eaux, des corps morts, des roches cinglantes, traversées de chairs brûlées, gardées par le sel du temps, élevant parfois des comptines accordées à la marche et aux jours.
Peu à peu, j'en comprends le sens enfoui qui soulève la croute de mes illusions. "Au passage, prends-moi, disent-elles, emporte-moi dans l'autre néant de la cave et de la maison jaune!"
Souvent, j'obéis, chargeant mes poches, mes sacs, mes regards, de fragments arrachés aux grandes cicatrices du voyage.
Elles ne s'arrêtent pas là. Lorsque je dors, elles secouent la nuit de gémissements reconnaissables. "N'oublie pas que tes rêves se sont nourris des chemins parcourus. Que reste-t-il de nous ?"
Elles se lèvent encore et sarabandent au fond de la lumière, qui n'est pas une lumière, mais une diagonale d'atomes oubliés, une forme expiatrice des ravages et des incendies de la petite histoire.
Parfois je leur réponds, et parfois les ignore.
Quand le capharnaum monte et remonte jusqu'au cadre, je les enferme sans pitié pour leur vie sans objet. Elles-mêmes devenues objets, les Chimères rêveuses se laissent apprivoiser.
Et moi je dors tranquille.
Avec la complicité de Aude, graphiste et éditrice "le chien du vent", un nouveau carnet voit le jour ...
Lorsqu'on écrit sur le voyage, extraordinaire aventure ou simple traversée d'un nouveau quotidien, on fait des phrases avec ses pieds. On suit des routes, ou des rails. On emmène avec soi d'autres lignes évadées d'autres livres, d'autres phrases martelées par d'autres pieds qui marchèrent, écrivirent, suivirent d'autres chemins que les siens.
J'ai emprunté ici quelques lignes amies : Rimbaud, Kerouac, Michaux, et beaucoup de rails luisants. Lignes. Le même mot, et pour moi, le même Usage du monde, comme disait Nicolas Bouvier, que chacun raconte à son image.
Mais le temps du voyage n'est pas le temps de l'écrit. D'abord l'action : on marche, on laisse filer la pensée, on regarde, on éprouve. Viennent ensuite les notes d'un court décalage temporel : carnet, soir, lecture, nuit, souvenirs, lendemain. Enfin, revenu chez soi, le texte lève, après des semaines, après des mois, tentant de se charger des trois moments : l'instant, l'écriture, le vagabondage littéraire. Ainsi met-il en correspondance images, réminiscences, moments d'évasion déjà vécus ailleurs, déjà couchés sur d'autres pages, qui donnent corps aux sentiments, aux impressions. À toutes les lignes qui se sont tracées dehors / dedans, jusqu'au récit final.
Cailloux, poèmes, lectures, photographies. Le voyage est écrit dans sa multiple nécessité.
J'ai rencontré des villes et rencontré des eaux
toutes les eaux de toutes les villes
qui noient les amertumes, les malheurs, le bruit sec qui referme les murs,
toutes les villes qui vont chercher la rive, la rivière, la lagune et la mer
à la pêche aux reflets, aux miroirs qui trompent le destin
toutes les villes qui appellent à l'eau native pour les défendre de l'abandon
de la poussière
toutes les villes qui ont besoin d'échappées pour endormir
le souvenir du quai et des caves obscures
toutes les villes qui ont déployé l'ostinato
de l'eau douce, de l'eau pour rien, de l'eau donnée
toutes les villes qui ont besoin d'origine ont besoin d'horizon
toutes les villes ont besoin d'eau
... écrit dans le train de nuit
Escales. Rencontre brèves dont le temps gratifie nos passages. Ici. On n’est jamais venu, on ne reviendra pas. Sans doute.
Repérer. Hésiter. L’arrivée dans la nuit, ou bien au petit jour, le sourire d'un passant, le langage qui s’effrite au long des rues que l’on ne sait pas nommer. Avec le frisson du pied sur le bitume, le grognement d’un train qui nous verse et ne nous reprend pas.
Ne pas se retourner. Redouter l'ankylose. Marcher, marcher. Oublier de dormir. Oublier de manger. Faire du corps un brouillard ou un nuage qui déchire la rêverie. On ne rêve plus, puisqu'on y est, puisqu’on glisse sur le pavé, sur la terre lourde, ou dans l'ombre des rues. Ici. Maintenant.
Et puis demain, dire adieu à la ville indifférente qui ne se souvient plus qu’on l’a serrée de près.
Et puis demain un autre port, un autre lit, un autre enfant qui nous dira bonsoir, un autre bus qu’on a peur de manquer.
Où rien ne manque lorsqu’il faut repartir, avec son sac, lourd de chemins entrelacés. Et le pari des heures prochaines. De l'arrivée.
Du nouveau jour.
Tu vois, lui dis-je, c'est maintenant que l'on se quitte. Dans ce matin blanc à la frontière de nulle part. Avec douceur et sans regrets : c'est une histoire qui n'a pas eu lieu.
Sur mes talons depuis sept jours elle a marqué son territoire, sa profondeur sans limites, en tenant mes chevilles au dessus des abysses. Elle m'ignorait le plus souvent, me laissant respirer malgré cette agacerie d'aiguille fine plantée dans la chair tiède.
Parfois je lâche prise et j'oublie qu’elle me tient à sa portée, alors elle gronde un peu plus fort : mon cœur s'emballe et la nuit me surprend, secouée de spasmes à venir. Elle dit qu’elle épargne comme elle veut, selon son bon plaisir, mais je ne suis pas dupe.
C'est maintenant que j'abandonne. Saluant le navire qui tourne dans le fjord alourdi de nuages bleutés. Grimpée sur la montagne au-dessus de Kirkenes, dans la tourbe et la glace, je la regarde au loin sans savoir quoi lui dire : peut être un merci, peut-être une rancœur secrète. Je connais la puissance qu’elle n'a pas déployée et me félicite d'être partie à temps, je n’avais rien à offrir en échange.
La Terre est rousse sous mes pas. Il reste, à peine, ce léger balancement du corps qui ne veut pas lâcher.
J'ai retrouvé la route libre et dure qui ne se dérobe pas, où l'on n'explore pas le fond secret des cales.
J'ai retrouvé mes pieds. J'ai retrouvé mes mots.
Faire suite à mon post du 22 septembre ?
Il n'y a pas de falaises à Paimpol, Botrel s'en est aperçu trop tard, c'est ce que raconte les chemins du patrimoine semés dans la ville ! on s'en passera donc !! Ici règne la basse mer ...
enserrée d'écluses
l'eau contrainte fait danser
les bateaux à quai
port de Paimpol (22) à marée basse
Il y a quatre villes, piliers de ciel, qui habitent le nom de Quito
La ville bariolée de couleurs imaginaires qu'on ne retrouve pas, même en fouillant chaque ruelle. Celle d'avant le voyage. Elle est déjà passée.
la ville répandue, échappée, jeu de cubes au hasard des quebradas, des précipices, des ponts, des failles, des cassures, des escaliers, des ascensions, des coupoles. La ville qu'on nomme avec les pieds, le souffle et le présent.
La ville noire surgie des couches telluriques, qui tremble sous les pavés, interroge et ne répond jamais. Qui se réveille en vomissant des ombres .
La ville des nuages. Elle reste encore longtemps quand on tourne le dos.
Je ne sais laquelle je préfère.
Chacune compose un plan de visages et d'images, de mots et de murs que le magma tient à la verticale, et parfois consume, et parfois redresse.
Les quatre noms de Quito sortent et renaissent tour à tour, de l'abîme ou du cratère, avec un bruit de cœur-marteau, une ivresse de fanfare ou un bouquet de pétards crépitants.
Puis, ils dansent sur les volcans, et c'est la fin du rêve de Quito.
Restent les mémoires vives sur la courbure des vallées