22 juillet - vers l'ile d'Eubée
un vent de lumière, et la force du cyclope imaginé, bientôt soulèvent en cadence un grand émoi d'eucalyptus et de poussière
l’œil te regarde, en deçà des iles égarées sur la moire du volcan
il reste un peu de temps, beaucoup de cendres
et l'acidité qu'une paupière archaïque a posé sur la vague
23 juillet - Karystos
ce que disent les cigales :
les nombres cachés et l'insistance des bourreaux, de leurs élytres coupantes, hacheront le soleil en myriades d'éclats
le chemin est long jusqu'à la vérité du zénith
on danse malgré tout sur les brasiers, et l'on fait tournoyer des couteaux de mica
un oiseau déchire le bleu
trois chardons noirs attisent l'enrouement d'un chien
cette épine a depuis longtemps infecté nos consciences
il reste le crissement du vivant qui ne s'oublie jamais
cela : c'est ce qu'il dit
25 juillet - Lavrio
dans les collines déchues de la mine, la brillance des plombs argentifères a coulé sur la mer
qui trop tôt s'est fermée
le poids de la fierté, et la violence du déshonneur s'étouffent peu à peu
il court un frémissement de chiens qui enfle jusqu'à la nuit, jusqu'à la sauvagerie initiale du monde désaccordé où des cerbères à cent têtes vont trouver nos peurs et les mener jusqu'à l'enfer, jusqu’à la mort, jusqu'à l'effritement des marbres qui ne cessent de glisser;
tout oiseau est un leurre
toute meute est à l'image de nos lâchetés
d'abord les chiens, puis le peuple, puis la mer
un autre jour : l'éternité
27 juillet - Athènes - Mont Lycabette
Quand nous vient la beauté, d'où vient-elle ?
des hommes ou des fleurs? de l'avant ou du présent? des incendies ou des rumeurs urbaines?
c'est l'espace du songe qui nous a couvert trop longtemps, et brusquement s'élève dans un bruit d'ailes
le temps est là, posé sur l'angle des pierres
le chant des oliviers et la respiration du ciel éloignent le malheur qui, toujours, fait le beau
loin des passions, loin des aurores fanées, il y a l'aplomb du midi que l'ombre n'atteint pas
28 juillet- Athènes - musée archéologique
le bref éclat du papillon sur l'enfant de Mycènes, la rondeur des cuisses et la poitrine offerte au masque d'or: j'ai vu les dieux qui nous ressemblent, gavés de plaisir et d'ivoire, sur la tête du peuple souverain qui construit sa maison
maison du lendemain, des saisons paisibles, des lèvres enchantées, et des pas en avant.
à l'autre temps qui brûle, rien n'est jamais caché
les messagers enfuis se lèvent avec le vent, avec la caresse du marbre, avec le cycle de l'homme seul, dénudé, que rien ne fléchira
pas même la mer, pas même la salive des mots qui disaient : nous voulons tout,
le vin et le sourire, la source et l'olivier
28 juillet - Athènes - théâtre de Dionysos
au souffle d'Eschyle, au vent de l'Attique, je choisis le mouvement du temps qui dépasse les morts
les mots du ciel creusent la terre d'un sillon d'humanité qui ne se dément pas
la lumière s'échappe de la stature des ifs hiératiques
ah! n'être rien que la cigale au delà de grisailles qu'on ne reverra plus
prendre racine dans le feu de l'ivresse, assécher les ombres jusqu'au sacrifice.
Un monde naquit, un autre s'écroula
l'empreinte des voix sous la plante des pieds s'éloigne peu à peu de la foule au dessus
quand je cherche le fond sous la carrière des siècles
tenir ou bien lâcher devient alors semblable insurrection
jeter sa voix que la sécheresse ignore toujours
la beauté n'a pas de couleur
elle est l'air blanc, le chant, que traverse un autre silence
29 juillet - Adriatique
nous sommes si fatigués, de vent et de brume
la tête en arrière, le cou raide, le pied lourd
il n'y a que les îles, dont chacune est un cadre sans nom qui encercle son mystère
nous sommes dans le bruissement des hommes, dans la fausse joie des fausses retrouvailles, ou peut être ?
un moment échappé au travers des roches que le soleil invite au rire ?
des langues dénouées, des accents circonflexes, des traverses suspendues au dessus des reflux ?
Train de nuages. Chenal. Vacation. Retrait.
la mer est plate
tout est possible dans la joue de l'arène
où surgirait un minotaure, un Léviathan, ou un volcan
si nous avions encore
le désir du voyage
le désir de l'inconnu
le désir
30 juillet - Patras-Ancône
pour la beauté, disions-nous, il n'y a plus de mots
notre gorge serrée avale tout doucement la suspension des graines arrondies que soleil, et lune, et soleil, font germer à l'horizon
il n'y a plus de mots
nous ne savons dire que la colère, la vibration insolente des révoltés et le temps immobile d'hommes démantelés qui frappent à la porte
car il n'y avait pas d'autres mots
nous les avions épuisés de recours inutiles, de luttes sans merci, de douleurs et de cris
pourtant, la voici, disions-nous, la voici maintenant qui martèle nos yeux
mais il n'y avait pas de mots dans nos bouches amères
elle était là, nous le savions, il suffisait d'un peu plus de joie, d'un peu plus d'oreille pour entendre sa pulsation qui nous pétrit d'éternité
nous n'avons pas pu
mais nous savons qu'une autre fois, sans doute, du puits remontera un seau d'eau fraiche que nous appellerons : beauté du vide
où jeter nos illusions, où désaltérer nos simples corps