En ces moments troublés d'obscurantisme et de violence qui font, comme toujours, écho à d'autres évènements passés de violence et d'obscurantisme, j'ai aimé, en passant à Gernika faire le constat que les artistes (Picasso, Henry Moore, Eduardo Chillida...) et leurs oeuvres peuvent un jour surgir à la place des armes et du sang, et surtout, remplacer la dévotion au fanatisme d'où qu'il vienne par l'hommage à la beauté et à l'Art
à ces échos d'Henri Michaux ou de René Magritte
c'est une ville dérangée qu'on ne dérangera pas
une ville enfermée qu'on surprend en plein vol
car la ville de tous les ciels encombre les étoiles
et déconstruit l'image de briques et de broc
que le puzzle enrhume petit à petit
cactus métallique se riant de piques sans raison
Celle qui sur-réalise loin de son ambition capitale
pigeonne en forme de coeur, en forme de ciseau ou de pistolet à moustache
la tête entre deux sièges, le cul entre deux têtes,
la ville
ne fait pas sa maligne
ou c'est une autre ville, d'une autre fois, aux tables empesées,
autour des quais sans eau, des os sans corps, des clefs sans molette,
bruinant sur les ghettos du dimanche, les marchés de complaisance
pouet pouet la voilà, pas fière pour dix sous
le trait emprunté à la craie du trottoir
ceci
bercée des louanges de pensées grinçantes
qui sauvent ou perdent, ni une ni deux
ceci n'est pas une ville
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galerie marchande | galerie d'art brut |
Elle, fragile face à l'ambiguité des passions
Elle, pure essence d'une idée que l'histoire n'achève pas
Elle me dit : "tiens bon quand la colère s'embrase"
Elle dit aussi : "la mort est blanche quand tout le sang s'est vidé de lui-même"
Elle, seule.
Survivra-t-elle face au nombre
si torturé, si rouge, si beau
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c'est au petit matin qu'il faut prendre la mesure de l'éloignement
le froid cisaille la nuit sans sommeil
et porte aux nuages qui s'emmêlent des reflets d'eau et de désert paradoxal
on ne sait où aller pour échapper au vent
tandis que la ville, les rues, les blocs restent en travers, plantés dans le soleil naissant
somnambule et indécise, chaque avenue annonce un moment glissé de silence
marcher encore et puis tomber et se remettre en veille
une fois encore étrangère
une fois encore conquise
en attente du monde et des mots insensés
la belle aurore neuve est un ailleurs qui se dévoile
Etre partie. Etre arrivée
dans le port d'Amsterdam
ou sur d'autres chansons qui scintillent de canaux en canaux.
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la voie, qui vertement se déshabille souligne l'imprécision du trait et ne s'attend à rien d'un au-delà connu où, tout au bord du quai une ville se penche en elle-même et se rêve ou s'invente en elle-même en équilibre sur le rail de fer elle, aimante, moi ne sachant entendre ce que dit à ma tête d'aiguille le sanglot d'un marcheur à la jambe clouée lequel a décliné depuis longtemps toute espèce d'invitation à perdre sa boussole
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je ne parle ni d'utilité commerciale, ni de tourisme à consonance historique, ni d'architecture, ni de rencontres à faire parler.
je veux dire la solitude impérieuse du marcheur rythmée par la seule nécessité des méandres de pieds enlacés aux méandres de pensée.
cette appréhension retenue et féconde d'un arpentage décidé quoiqu'aléatoire.
dans les villes et nulle part ailleurs.
j'aimais ces écrits de Georges Perec qui notifiaient l'urgence patiente de cette découverte en mouvement: celle des hommes, celle des lieux, celle des faits divers, des vitrines, des collages, des cours, des portes cochères, des aplombs de muraille, des allers retours, dont on reste toujours stupéfait lorsqu'on finit par voir la ville d'en haut, cherchant à reconnaître son chemin à ras de bitume. Qu'on ne retrouve pas.
C'est que la ville s'appréhende avec la loupe de l'entomologiste et le pas du montagnard, comme pareillement la ville m'appréhende sans le dire en son centre oscillant et sa rumeur secrète.
jamais secret moins bien gardé, toutefois, jamais regard plus détaché, puisqu'offert à la cantonade, puisque réfracté en des millions de regards, de mots et de cris, de grincements, d'autres pas martelés qui ne sont pas les miens, et qui pourtant...
villes d'odeurs et de bruissements; chacune sa lumière; chacune portant en elle la grâce infaillible d'un mot qui déroule en une seconde toutes les vies qu'elle malaxe dans ses fondations, ses amours, ses violences, ses assises bancales. Uniques et familières. Irremplaçables.
Paris Londres Valparaiso La Paz Lomé Rome Dakar Santiago Kiev Dublin Florence Toulouse Marseille Lisbonne ... où ?
villes où je marche et marche jusqu'au bout
de la complicité
Dans une précédente rubrique sur ce périple ukrainien, je me posais la question (un rien provoc!): où sont les gens ?
Le fait est que j'ai eu parfois un sentiment de vide écrasant sur certains espaces architecturaux qui semblaient ne pas respirer au rythme de la vie quotidienne...
Et puis, je n'aime pas trop photographier les gens sans leur consentement, ce qui devient vite très problématique quand la communication est empêchée par les barrières de langue, ou d'habitudes de vies...
Tout de même... nous étions en voyage pour chanter une oeuvre que j'adore dans deux beaux théâtres (Yalta et sébastopol) , accueillis par des amis musiciens qui ont été précieux dans l'organisation du voyage... sans compter le plaisir partagé avec les choristes eux mêmes.
Alors, j'ai voulu conclure par un petit regard très subjectif qui n'a rien d'exhaustif ni de sensationel : "la vie avec les gens en Ukraine telle que je l'ai vécue pendant 10 jours : ce qui m'a étonnée, touchée, frappée"
je ne mets pas de commentaires .. chacun en concluera ce qu'il veut et se fera, peut être, son propre voyage dans sa tête :-)
je garde le meilleur pour la fin !
Bakhtchissaraï, gros village des Tatars de Crimée, magnifiquement mis en valeur.
C'est une histoire tumultueuse que celle de ce peuple ukrainien turcophone, dans le récit de laquelle je ne me lancerai pas ici .
Il faut seulement savoir que Les Tatars constituent une population originaire d'Asie centrale qui vivait en Crimée sous le régime d'un "khanat" . Ils sont de religion musulmane. Ils ont été déportés massivement après la dernière guerre mondiale. Aujourd'hui ils tentent de faire revivre l'originalité de leur culture notamment à travers la visite de l'ancien palais du Khan, et la présentation d'un artisanat original.
En allant jusqu'au village troglodyte de Tchoufout Kalé, on découvre la beauté sauvage d'un pays de falaises calcaires et de grottes escarpées.
chaleur sur la route
le silence naquit des pierres
à Tchoufout Kalé
le palais du Khan
On l'appelle la petite Jerusalem.
Dans la vieille ville, peut être désertée à cause du samedi (shabbat), les synagogues des juifs Karaïtes voisinent avec les mosquées, non loin d'églises diverses que je n'ai pas toujours su identifier.
Les talons de quelques adolescentes claquent sur des pavés disjoints entre sons de cloches et appels du muezzin, tandis que le printemps s'invite au delà de chaque mur.
C'est joli.
Le temps est doux. Et si paisible.
Mais plus loin encore, sur l'autre bord de Yevpatoria, l'animation prévisible d'un jour chômé ne laisse apparaitre aucune foule, aucun rassemblement.
Où sont les gens ?
Peut être sur le môle, serrés les uns contre les autres au bord de l'eau, entre le béton et la rouille, pêchant ces mulets de la Mer Noire qu'on déguste en friture dans les petits restaus.
Le soir nous ramène à Simferopol dans un train tout aussi vide, tout aussi vaste, entre souvenir de ciel et mer que les nuages perdent en chemin.
Il me restait la tristesse et la mélancolie d'une ville ensablée dans un sombre passé, ou que dans tous les cas, je ne savais comprendre.
Pas d'immédiateté, peut être à cause de l'écriture qui ne dit rien, de l'absolue étrangeté des visages qui ne se sont pas ouverts.
Mais le dernier matin, je sentis tout à coup, balayant le champ du bel azur, le vent de ces couleurs que j'avais occultées. Et la ville me parut, à cet instant, ouvrir un pan de ses secrets qui ne se trouvent pas dans les profondeurs auxquelles elle croit se perdre, mais dans la légèreté printanière d'un coup de pinceau posé sur l'hiver des regards.
J'ai cueilli les couleurs sans poser de questions.
Juste un moment de grâce sur l'impénétrable griffure des mots qui nous échappent.