On me disait : "ce que tu écris, ce que tu montres, ce que tu joues, c'est la tristesse, c'est la colère du monde. Pourquoi n'écris-tu pas la joie, la paix, l'insouciance ? "
Je répondais - avec cynisme - "Ah oui, montrez les moi. Ah oui, que je vienne vers elles, et mes mains se tendront jusqu'à les reconnaitre"
Non, c'est autre chose.
Si l'artiste ne fait que reproduire la beauté à l'état de nature, à qui, à quoi servira-t-il ? La réalité n'est-elle pas infiniment plus riche, plus étonnante, plus machiavélique aussi, que ce qu'il peut concevoir ? ( il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre... disait le grand William...)
J'aime les histoires vraies. Je l'ai dit souvent . Pas parce qu'elles devraient être plus gaies, ni parce qu'elles devraient mieux nous consoler, mais parce que la seule trace évidente que je trouve à suivre leur chemin, est leur réalité.
Je ne méprise pas l'imaginaire. Je lui trouve moins d'invention que le réel. Je voudrais que l'image procède seulement d'un arrangement du vrai, d'une folle combinaison, d'un recadrage ou d'une fixation, d'une sur- exposition. Tous les photographes, tous les cinéastes, et même les comédiens, le savent : c'est dans la focalisation sublimée de la vérité qu'on cherche, qu'on trouve son art.
Paradoxe, dira-t-on, que ce gout affiché du réel, combiné à la beauté (mensonge !) suprême du cadrage, si c'est pour n'offrir que la noirceur du monde qui colle à son reflet .
Oui. Je n'écris pas comme un artisan qui se met fiévreusement au travail chaque matin. Béni soit ce professionnel, et ses œuvres majestueuses que je n'écrirai jamais : par mon incapacité à me mettre à table (!), par amour du vivant (mais oui...), par un penchant naturel à la gaité sans contrainte, qui me font jouir de la beauté et de la lumière sans avoir à les écrire chaque fois qu'elles me traversent.
Je suis moi, l'artisan d'une besogne timide et minuscule qui assoit mes visions seulement lorsqu'elles deviennent pesantes et nécessaires, m'obligeant à les déposer. Pourquoi ? pour mieux en rire, qui sait?
Il fut une période de ma vie, où je dessinais chacun de mes rêves nocturnes. Thérapie ? s'il faut le dire, oui, sans doute. Mais l'écriture n'est pas thérapeutique.
Elle contient en elle-même cette douleur fragile identique à celle des rêves. Celle d'une vérité qui s'échappe. Celle de la nécessité, brève et sporadique d'un partage assumé. Et surtout, comme l'encre et le gras du crayon maculent la blancheur du cahier, elle assume la noirceur originale de ses outils, de ses procédés, et de ses mots jaillis. Pour faire de la colère, des larmes, des orages, des injures et des monstres d'images que chaque jour déverse, un temps de repentir, un temps de construction, un temps de beau temps qui s'annonce au couchant des nuages qui tremblent.
Ce que j'écris, ce que je montre, ce que je veux. De la laideur insultante et de la haine vorace, tisser des mots enchantés qui ne détournent pas du vrai. Qui ne "divertissent point " (voici Monsieur Pascal ...) , mais qui font voir plus haut : conscience, catharsis, lucidité téméraire.
Je ne détournerai pas mes yeux face à la guerre, mais j'en admire les "Guernica" ( et Monsieur Picasso).
La faiblesse de mon talent m'interdit de viser au sublime. Elle m'autorise pourtant à nommer ce qui est, quel que soit le malaise qui en résulte.
Parce que c'est une vérité. Parce que cela devient une création. Parce que c'est ainsi. Cassandre de banlieue solidement arrimée à sa vision du pire. Tant pis pour "moi" ! Car ce que j'admire, ce que j'aime, souvent me chavire, mais "moi" ne compte pas, face au cri d'un seul autre, à la déchirure maléfique de l'histoire humaine.
Aimer les gens, la "Nature", comme on dit. Désespérer de la violence, des uns et de l'autre.
Dans l'arbre vert, c'est toujours l'ombre et le squelette que je vois.
L'arbre est vivant. L'apparence est sa vérité. Sa substance est sa vérité.
Ma vérité c'est l'image d'un arbre tordu qui implore la délivrance du jour. Voilà ma folie, mon regard et peut être, mon art.
Face au soleil qui brûle, tout au milieu.