Le train file à travers un paysage de lacs, de bouleaux, de maisons rouges. Depuis Malmö la grisaille s'effrite peu à peu. Stockholm s'annonce dans un ruissellement d'or pâle et de cuivre que rien ne vient démentir. Elle est la lumière du premier froid, le Sud et le Nord tout ensemble réconciliés dans le chaudron automnal.
La grande ville s'étend sur un archipel escarpé où la carrure des bâtis cède à la mer et ciel, cède au miroir des îles de feuillages. Elle offre la solidité insolente d'un assemblage où tout semble soudain trop grand, mais la grandeur n'écrase pas, elle rend même la petitesse presque honorable en offrant à chacun le présent d'une place harmonieuse, comme la feuille au cœur d'octobre participe à la grandeur de l'arbre entier.
Stockholm est un labyrinthe à ciel ouvert, un chemin de pierre et d'eau qui se ramifie jusqu'aux banlieues chargées de maisons claires et d'avenues sans limites. Car la ville a toute la place, toute les couleurs pour elle seule. Elle oppose la blancheur miroitante de ma chambre aux maisons de bois multicolores du parc de Skansen. Elle absorbe les grottes obscures du métro, transfigurant le ballet des lucioles électriques qui se répondent de ponts en ponts, de ports en ports.
Chaque ville est une surprise où l'on peut oublier ce qu'on sait et ne pas regretter ce qu'on ne sait pas. Une expérience hasardeuse sans prix à payer. Il faut juste y avoir des pieds et des yeux, et parfois un plan élémentaire pour qui aime se retrouver sur le papier après s'être perdu dans la lumière : ces jours là Stockholm fut éblouissante en dépit de la massivité austère de ses monuments. Sous la lumière rasante, je brûlais mes yeux d'ile en ile, sur un parcours d'arbres roux et de navires couchés, cherchant la verticale d'un horizon vite retombé dans la brutalité du crépuscule.
Dans l'île de Skepps Holmen les statues de Niki de St Phalle ont soudain troublé mon regard en dépit de l'éclat des formes. Je me suis assise au milieu des feuilles mortes, sereine d'avoir traversé des douleurs qui ne sont plus qu'un songe. Lorsque j'ai quitté la ville, au soir couchant, je n'ai pas rencontré la pleine mer, mais la succession infinie des méandres de l'heure fauve. Il me fallait dormir : la nuit viendrait bien assez vite.