Tambacounda, 6 heures du matin, la gare routière ressemble à ce que j'ai connu au Togo. Nous sommes au fin fond du Sénégal, et il semblerait que le relatif développement se soit arrêté à la côte et aux lieux touristiques.
Sauf qu'au Togo, il n'y a pas d'enfants Talibés. Ils viennent chanter, en t-shirts couleur de peau, contre les vitres du taxi des hymnes à la gloire d'Allah (vu le nombre de fois que le nom revient) avec des jolies voix et des yeux tristes d'enfants abandonnés qui vous fendent le coeur, mais donner une pièce serait source de bagarre ou d'assaut incontrolable, sans compter l'encouragement à ce système d'exploitation enfantines des plus honteux.
Rien que pour les talibés et les petites filles excisées on voudrait qu'il y ait un paradis d'Allah !
Je suis souvent tentée de me demander ce que je fais là au milieu des ordures, des mouches, de l'attente interminable et de tout ce que n'importe qui peut avoir de mal à supporter (encore que ce ne soit pour moi qu'un moment très provisoire)
Je me dis que d'une part il y a aussi tellement de beauté dans cette pauvre Afrique: sous les ordures et les haillons, un jardin d'Eden, et des gens nobles et généreux. Et puis, il y a la leçon qu'on se doit à soi même. Des milliards de gens vivent ainsi, et moi je refuserais de le connaitre , de l'éprouver? ça ne sert évidemment à rien, mais ce serait un manque de courage, un refus du réel... alors j'attends, je supporte et je souffre parfois, pour si peu de temps !
Entre Tamba et la frontière malienne tout se passe bien, les formalités sont même étonnamment rapides compte tenu du fait que je n'avais pas de visa. L'arrivée au Mali fait sentir cependant une certaine différence avec l'organisation sénégalaise. A Diboli, j'attends 2 ou 3 heures que le "7 places" se remplisse, et ô surprise, nous ne sommes pas 7 voyageurs mais 9, plus une quantité invraisemblable de bagages, dont une grande bouteille de propane pour couronner le toit. Il faut sérieusement se tasser et le chauffeur fait preuve de ce mépris souverain et de cette hargne sans frontières qui est l'apanage des taximen que j'ai souvent rencontrés au cours de mes précédents voyages.
La chaleur est cette fois à la limite du supportable, tout le monde ruisselle, le moteur tourne en parmanence, même lors de nos arrêts car il est clair que le taxi ne peut redémarrer sans y être invité par une douzaine de bras costauds.
A mi-chemin nous débarquons deux passagers et plusieurs sacs de 50 kgs qui pesaient sur le toit du véhicule. On se dit que le reste du voyage se fera à tire-d'aile!
Mais voilà, nous avons quitté la verdoyante forêt sénégalaise, et au fur et à mesure que nous filons vers Kayes, se fait sentir le Sahel, et la rudesse climatique d'une terre nettement moins riante.
Le ciel se couvre peu à peu, puis brusquement s'assombrit de rouge ocré. Je pense que la pluie va rafraichir l'atmosphère, mais c'est un vent de sable qui déferle sur nous. Il fait nuit en plein jour. Pour moi qui n'ai jamais vu ce phénomène je dois dire que c'est très impressionnant : le ciel et la terre se confondent dans une couleur impossible à imaginer, un orange de feu qui tempête sèchement et infiltre partout ce sable venu de Mauritanie.
les vitres du 7 places ne ferment qu'approximativement, et les cheveux, les vêtements, la peau des gars devant moi (j'ai encore hérité de la place du fond, sans vitre mobile) deviennent très vite couleur de poussière. Le taxi s'enfonce dans un tunnel de nuit soufrée, puis s'arrête, ne sachant plus où est la route.
Cet épisode dure de 30 à 40 minutes, pendant lesquelles le sable giffle les vitres d'une pluie qui crisse dans la bouche. Enfin arrive la vraie pluie mouillée, et le monde retrouve sa forme.
Me voici donc à Kayes, la poussiéreuse, la surchauffée, sous une pluie fine et froide qui a fait disparaitre l'idée même du désert que le Nord nous avait amenée !
je m'installe dans une petite chambre sommaire de l'auberge de jeunesse, bruyante et chaude, mais j'y dormirai bien (avec mes bouchons d'oreille, indispensables pour tout voyageur au sommeil léger), après avoir toutefois repoussé au moins trois demandes en "mariage" !!
Bien que tout le monde, c'est à dire tous les maliens à qui j'ai parlé hier soir, m'en dissuadent, j'ai bien envie de tenter le train pour Bamako après demain. Un homme me dit "vous les européens, vous cherchez toujours à prendre des risques, on ne vous comprend pas". J'éclate de rire malgré moi. Le train ne peut pas être un plus grand danger que celui d'un taxi hors d'âge qui perd ses roues ! ou que tous les taxis, voitures ou motos, que j'ai pris depuis 9 ans... et je sais de quoi je parle depuis que, par jeu, j'avais conduit sur quelques kilomètres un taxi togolais. Une expérience aussi inoubliable que terrorrisante.