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29 novembre 2014 6 29 /11 /novembre /2014 11:56

C'est un film documentaire de Jean Loïc Potron et Gabriella Kessler que j'ai vu à Concarneau il y a quelques semaines.

Un de ces moments, de moins en moins rares hélas, qui prend à la gorge et vous fait dire : non ! Non ça ne peut pas continuer comme ça ! Il faudra bien que ça s'arrête un jour !

 

braddock-america 4825330

 

La camera de JL Potron suit inlassablement des rues défoncées, des trottoirs couverts de déchets, des silhouettes fantomatiques de monstres d'acier qui s'effritent peu à peu.

"On dirait le Sud" : ce Sud de la planète, hors de la compétition, où les villes s'embourbent et se délitent dans l'impuissance des Etats.

Mais Stop ! Ici c'est Braddock, America, fleuron de l'acier yankee, symbole des réussites insolentes du siècle passé où l'on magnifiait le made in USA; une ville de 70 000 habitants, aujourd'hui réduite au 1/10è de sa population, où s'installaient des émigrés d'Europe et d'ailleurs, fascinés par "the american way of life" .

Et puis boum ! mondialisation oblige (!) tout s'est écroulé en une vingtaine d'années.
Mais c'est de l'Amérique dont on parle ! du pays du capitalisme triomphant, de la libre entreprise, du self made man, de la vénération accordée à l'industriel qui pavoise ... et là bas, dans cet El Dorado, on délocalise ?

C'est la première claque que je reçois, accompagnée de cette réflexion immédiate :

Quoi ? au moment où l'on entend répéter à satiété, que la difficulté des patrons à investir, à embaucher en France, voire en Europe (ces bastions crypto-communistes de l'Etat providence!!) vient d'un excès de règlementation, de taxes, de contraintes, d'empêchement de tourner en rond... Quoi aux USA aussi ? Mais alors ?

N'est ce pas  là bas le règne du libéralisme débridée, de la liberté sans contraintes qui permet toutes les audaces?

Et poutant, eux aussi, ils délocalisent !

On voit alors dans cette ville mythique privé des bienfaits de la "manne libérale", des américains comme vous et moi, identiques à nos ouvriers de Lorraine et d'ailleurs, semblables aux millions de gens de partout sacrifiés sur l'autel du Dieu Fric tout puissant.

On les entend parler simplement, du policier de quartier à la responsable de la municipalité. Et ils nous disent que là bas aussi, les riches, les investisseurs, les possédants, pas encore assez gavés, sont partis avec le magot en se fichant pas mal de ce qui arriverait aux laissés pour compte.

On entend cet ex-syndicaliste de l'aciérie raconter les combats menés en vain, on voit monter au créneau ce collectif de manifestants qui veut protéger son hôpital et qui n'aura pas gain de cause: l'établissement qui appartient à un groupe privé, sera finalement démoli pour être reconstruit quelques kilomètres plus loin, dans une banlieue aisée de Pittsburg.


Pour moi qui ne connait pas les USA, la deuxième réflexion qui vient à l'esprit est qu'au delà des clichés, ou des faits de société qui marquent nos différences, il y a aussi pas mal de gens qui nous ressemblent, dont les combats pourraient être les nôtres, que leur impuissance à faire changer le système révolte, et qui ne baissent pas les bras même quand leur situation est quasi désespérée.

Il faut entendre ce père de famille qui a compris très tôt que les aciéries ne rembaucheraient pas, et qui s'estime heureux d'avoir trouvé un job à 4 dollars de l'heure pour nourrir ses enfants.

4 dollars de l'heure ! Dans la première économie du monde ! Au sein d'une concentration inédite d'insolente richesse ! Habitant d'un empire économique qui veut contôler la planète !

Et derrière sa façade arrogante : la misère, la décrépitude, l'abandon !


Et voici la troisième leçon que je reçois de ce documentaire. A Braddock, la municipalité tente de faire ce qu'elle peut pour sécuriser les zones mortes, les maisons en voie d'écroulement, les rues (dont le nettoyage est assuré par les gamins du quartier). Sa marge de manoeuvre est étriquée : manque d'argent, manque de personnel, manque de leviers publics pour agir sur l'espace public .

Ceci est probablement une différence importante avec ce qui se passe (se passait ?) chez nous, où l'Etat et les collectivités locales disposent encore de pouvoirs et de finances qui permettent de régler, même de façon imparfaite, voire contestable, un certain nombre de situations extrêmes : catastrophes, inondations (qu'on se souvienne de ce qui s'est passé à La Nouvelle Orléans par comparaison), choc économique, grosses difficultés dans les bassins d'emploi.

En France nous avons encore (mais pour combien de temps ? ) des modes d'intervention qui permettent d'éviter le pire. Il me semble que chez nous, même dans les quartiers les plus déshérités, les campagnes les plus lointaines, on ramasse encore les poublelles, on entretient les routes, les stades, les écoles, on a droit aux minima sociaux : bref,  il reste encore (un peu) de service public!

Et voilà bien ce qui gêne nos ultra libéraux qui considèrent encore ce "reste" comme une insupportable ingérence dans leurs juteuses affaires. Privatisons, disent ils, et la liberté nous sera rendue !

Ce que nous disent les gens de Braddock (et d'ailleurs) c'est que dans la sphère de toute gestion privée, si tu ne payes pas, tu n'as rien !

Il n'y a qu'à, disent les ultras, laisser les routes, les ordures et les maison tranquillement s'effondrer en attendant que les "rats" quittent le navire, tandis qu'eux se rotissent au soleil dans les îles enchantées.

Car c'est bien ainsi que des humains sont considérés dans ce monde là : comme des rats qui empêchent l'argent de couler à flot directement dans leurs poches en cherchant à grignoter quelques miettes au passage.

Imaginons que la pression actuelle sur les gouvernements exercée par une Europe libérale - à laquelle nous avons dit NON - finisse par triompher totalement ?

Braddock serait (sera?) notre futur.

Et ce ne sont pas les gémissements de tous les maires schizophrènes qui pleurent face aux baisses de leurs dotations, tout en hurlant pour réclamer la mort de l'Etat, la disparition des impôts et la privatisation totale de la sphère publique, qui pourront arrêter les processus !

Ne comprennent ils pas ce qui les attend ? ce qui NOUS attend ?

 

bande annonce du fil en cliquant sur le lien ci dessous

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19542221%26cfilm=221009.html

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  • : Chroniques, poésies, photos, créations pour illustrer mes voyages, mes rencontres avec les humains solidaires, avec l'Art et les cultures, ici et partout ailleurs. Livres parus à ce jour : "lettres d'Anisara aux enfants du Togo" (Harmattan), "Villes d'Afrique" et "Voyager entre les lignes" (Ed. Le Chien du Vent)
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