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6 juillet 2010 2 06 /07 /juillet /2010 18:32

Ai-je été médisante, ou pessimiste ? le lendemain en venant prendre mon billet vers 6h30, j'ai  la surprise d'avoir une réservation et une place numérotée où l'on peut allonger très confortablement ses pieds, le personnel "de bord" est charmant, les voyageurs se mettent en place de façon relativement disciplinée munis de tout ce qu'il faut comme provisions de bouche, thermos remplies d'eau glacée, et matériels hétéroclites dignes d'une expédition transaharienne.
Et miraculeusement le train part à 7 heures 15 pétantes.

C'est une vraie jubilation d'être là, de traverser des paysages sublimes ponctués de baobabs majestueux, ou d'acacias odorants chargés de fleurs jaunes. Défilent successivement de longues étendues plates et rouges, puis des montagnes de grès au sommet tabulaire façon "Colorado", des petites gares investies d'enfants rieurs, des rivières enjambées par des ponts de fer, ou des villages de terre d'où sortent en courant cent petites vendeuses de tout ce que la région offre comme nourriture.
Ma voisine s'appelle Bintou, mais elle ne parle pas un mot de français... bon ! Au fil des nombreuses étapes cependant des conversations se lient.
Avec celui-ci, jeune ingénieur camerounais travaillant pour la compagnie ferroviaire "transrail" qui m'explique que le chemin de fer a été cédé par le gouvernement malien à un privé, dont l'intérêt et les bénéfices proviennent essentiellement du transport de marchandises. J'aurais plus tard l'occasion de constater à quel point le sort des voyageurs est effectivment le dernier souci de la dite compagnie.
Avec ceux-là, jeunes éudiants qui mènent activement des discussions politiques et s'indignent des agissements du gouvernement malien. Je peux croire que tout ce qu'ils disent est parfaitement vrai, cependant, si je fais la comparaison avec ce que j'ai entendu au Sénégal, ou pire encore avec la peur qui règne à tous moments sur le Togo, il apparait que ces jeunes ont une liberté publique dans leur expression que leurs envieraient bien des peuples africains.

 

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Donc, jusqu'à Kita, arrivée 16h, tout va pour le mieux.
C'est là qu'une autre aventure commence, la loco ancestrale refusant de nous mener plus loin. Pas d'infos. Pas d'excuses. J'apprends par l'ingénieur camerounais qu'une autre loco est en route depuis Bamako (à 200 Kms) pour venir nous dépanner. Le temps s'éternise jusqu'à la nuit noire, puis chacun s'installe comme il peut, affalé sur le quai poussiéreux, posé entre les fauteuils désertés, ou plié en quatre sur son siège pour dormir en prenant son mal en patience...
A minuit environ, il semblerait que le train soit prêt à repartir dans l'indifférence quasi générale. Je n'imagine même pas quelles seraient les réactions des français si telle aventure leur arrivait. D'ailleurs le seul qui se soit un peu élevé contre son sort est un malien de 30 ans exilé depuis dix ans et qui crie à qui veut l'entendre qu'en France la SNCF c'est la perfection même, que personne n'accepte de se faire traiter come ça, etc.etc. Apparemment ce qu'il dit ne touche personne et chacun lui conseille de se calmer et d'éviter de dépenser inutilement son énergie.

Quelques heures de route où le sommeil gagne, je me lève pour me dérouiller les jambes et engage une discussion animée avec le controleur, qui ne manque pas au bout d'un moment de me proposer la bagatelle, lui aussi séduit par mon "intelligence". Je retourne donc à ma place et me rendort.
5 heures du matin. Nouvel arrêt en rase campagne, les musulmans descendent pour prier, les autres pour se soulager et cueillir sur les arbres de petites branches faisant office de brosses à dents. Il parait qu'on est cette fois en panne de freins. Il faudra donc qu'une troisième loco vienne à son tour de Bamako (il reste à couvrir 80 KMS environ).
Cette fois la révolte gronde, fomentée par les étudiants qui veulent pétitionner contre la compagnie, le gouvernement, la "mentalité africaine", les vieux qui prennent les postes, la corruption des fonctionnaires, les intellectuels inconscients, et tout ce qui va mal dans le pays. Je ne peux pas leur donner complètement tort, mais puisqu'on me demande mon avis, j'incrimine plutôt le mépris de la compagnie privée (et qu'elle soit africaine ou autre n'y change rien) qui n'utilise pas ses bénéfices pour investir dans du matériel fiable et rénové mais pour s'enrichir sans vergogne.

Les vieux lions laissent crier les jeunes coqs, et lorsque le convoi repart enfin vers 9 heures, le chef de train passe dans les rangs des insurgés pour présenter ses excuses et calmer leurs ardeurs révolutionnaires. Bel exemple de diplomatie et de savoir faire "à l'ancienne" où chacun finit par taper sur l'épaule de l'autre, sourire retrouvé et moral en hausse au fil des derniers kilomètres.

La dernière étape nous offre un ciel d'encre et une pluie diluvienne qui attriste encore l'entrée de la ville, mosaïquée de sacs et bidons plastiques, de carcasses d'auto, de maisons de carton bâché, désespérance infinie de la misère sous toutes les latitudes.

Le train nous lâche dans une gare majestueuse de style "1900", et je me pose à l'hôtel-buffet de cette même gare pour un vendredi de grisaille à Bamako.
Je pense bien revenir un jour au Mali pour goûter toutes les belles choses que ce pays sait offrir. Mais cette traversée ferroviaire, quels qu'en aient été les aléas, me comble de joie, je n'ai pas peur de le dire avec enthousiasme.

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commentaires

K
<br /> Très bel article. Nous regrettons ces désagréments et vous présentons par conséquent nos excuses.( Office du tourisme de Kayes). En outre, J'ai noté à la fin de votre article que vous comptez<br /> revenir au Mali. Pour ce faire visitez le site web www.kayestourisme.org pour mieux organiser votre prochain séjour à Kayes. Je suis conscient qu'il reste beaucoup à faire pour permettre aux<br /> visiteurs de la région de vivre de belles expériences. Vos commentaires nous intéressent.<br /> <br /> <br />
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  • : Chroniques, poésies, photos, créations pour illustrer mes voyages, mes rencontres avec les humains solidaires, avec l'Art et les cultures, ici et partout ailleurs. Livres parus à ce jour : "lettres d'Anisara aux enfants du Togo" (Harmattan), "Villes d'Afrique" et "Voyager entre les lignes" (Ed. Le Chien du Vent)
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