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28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 13:44

Il arrive, souvent, d'oublier : un nom, un lieu, un air de musique, un livre autrefois lu. Il semble parfois que ce qu'on n'oublie le moins tient aux sens les plus primitifs: odorat, gout, sonorité (et non mélodie)... Ressenti profond surgissant contre toute attente : j'ai déjà éprouvé, déjà entendu, je suis déjà venue..? Tout est enfoui. Tout est là. Qu'on s'en souvienne ou non n'est pas l'essentiel.

Mais il faut parler d'une autre mémoire, reconstituée, réinventée qui pourrait soutenir tel projet de "Mémoires" ou le désir de les écrire. Magnifier le mensonge et l'erreur de la reconstitution par le chemin de l'écrit qui, toujours, s'éloigne du vrai, du vécu.

Par le jeu du retour effectif sur un passé révolu - revenir à tel endroit, revoir tel film, rencontrer quelqu'un qu'on avait oublié, ou presque - arrive alors une étrange confrontation avec soi-même, avec ses souvenirs, avec sa mémoire assumée dont on se croyait certaine de la fiabilité et qui tourne au désastre et à l'incompréhension. Je ne suis jamais allée ici, où j'avais la certitude de mon passage, j'ai oublié et transformé la fin d'un récit, d'un film, d'une histoire lue ou entendue, j'ai fait erreur sur la personne, inventé, reconstruit, clamé une vérité qui s'effondre une fois la preuve en main!

On ne cible pas ici une faiblesse de l'acte de "mémorisation" qui serait due à la défaillance de l'imprimante cérébrale. Ce dont on parle est arrivé, il y a longtemps, on en est sûr, quand la mémoire était vaillante... et la tête l'a ré-écrit comme elle l'entendait.

Alors, quel témoignage mérite de figurer dans mon histoire? J'ai vu ceci, ou j'ai cru le voir, mon œil a recadré, en photographe diligent, cette image, cette scène unique et signifiante et, face aux preuves indubitables, se trouve absolument désemparé, se referme sans gloire dans la noirceur d'un récit surfait et mensonger.

Quel crédit accorder à ces souvenirs, ces affirmations, ces relations d'évènements tronqués et délirants, à l'incertitude qui brusquement envahit ce qui fut, ce qui fut moi, ce qui fut ma vie ? Le projet d'écriture du passé recomposé s'en trouverait vacillant dès le premier mot sur son socle de marbre attaqué par l'acide du passage temporel.

Quel crédit à toute histoire, à l'Histoire même qui prétend exposer ce qui a été vécu, parfois oublié, puis rétabli. A ce que , surtout, l'on n'a PAS VU, PAS ÉCOUTÉ alors que c'était à portée, juste devant le regard, juste à portée des oreilles qui, avant même d'enregistrer, se tournaient ailleurs et composaient le paysage et le texte et le film d'une autre vie qui n'a jamais été ?

Nous sommes fait de l'étoffe des songes, disait le grand William, comment acceptons- nous que ce rêve soit immiscé jusque dans nos souvenirs les plus marquants, les plus sincères, les plus explicites ?

Mémoire-Mémoires

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  • : Chroniques, poésies, photos, créations pour illustrer mes voyages, mes rencontres avec les humains solidaires, avec l'Art et les cultures, ici et partout ailleurs. Livres parus à ce jour : "lettres d'Anisara aux enfants du Togo" (Harmattan), "Villes d'Afrique" et "Voyager entre les lignes" (Ed. Le Chien du Vent)
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