En dessinant, en peignant, on ne restitue pas le réel, on l'invente. Je n'ai jamais eu d'intérêt, ou d'envie, à reproduire ce que je vois, tout en admirant les peintres qui savent s'inspirer, en s'en détachant, de la réalité
Picasso (pour moi le plus grand génie inventif de tous les temps) disait encore : la peinture est un métier d'aveugle. Il ne peint pas ce qu'il voit mais ce qu'il ressent.
Créer, c'est sortir pour un moment du monde, intérieur ou extérieur, amener une forme, une image, une formule intrusive qui fait exploser nos regards.
Je voulais être artiste. Je ne voulais pas faire quelque chose de beau, ou d'admirable (en suis-je d'ailleurs capable?). L'univers n'a pas besoin de moi, ni de mes yeux, ni de mes mains pour exister, et perdurer. A la nature appartient la perfection de l’Être, l'absolu, le temps qui ne s'embarrasse ni du bien, ni du mal. Je cherchais un espace imaginaire où je rencontrerais celles, ceux, qui cherchent comme moi, non l'invisible, mais l'immédiateté d'un art singulier dont rien ne reste, sinon une intention, un éclat d'humanité bousculée de son imperfection.
Combler ce besoin de laisser, loin de la beauté sidérante, loin de la laideur que nous distillons sans vergogne, une trace au creux de nos cavernes, deux mots, trois couleurs, et un trait d'incertitude, un feu qui s'étouffe et crache quelques cendres que le papier, ou le mur, ont parfois recueilli.
Car s'il ne raconte pas ce qui existe, notre cerveau humain rend compte, malgré lui, d'un espace potentiel où le chaos se heurte à l'ineffable.
Le monde est au dehors. Et nos esprit cognent à la porte.
Il arrive, souvent, d'oublier : un nom, un lieu, un air de musique, un livre autrefois lu. Il semble parfois que ce qu'on n'oublie le moins tient aux sens les plus primitifs: odorat, gout, sonorité (et non mélodie)... Ressenti profond surgissant contre toute attente : j'ai déjà éprouvé, déjà entendu, je suis déjà venue..? Tout est enfoui. Tout est là. Qu'on s'en souvienne ou non n'est pas l'essentiel.
Mais il faut parler d'une autre mémoire, reconstituée, réinventée qui pourrait soutenir tel projet de "Mémoires" ou le désir de les écrire. Magnifier le mensonge et l'erreur de la reconstitution par le chemin de l'écrit qui, toujours, s'éloigne du vrai, du vécu.
Par le jeu du retour effectif sur un passé révolu - revenir à tel endroit, revoir tel film, rencontrer quelqu'un qu'on avait oublié, ou presque - arrive alors une étrange confrontation avec soi-même, avec ses souvenirs, avec sa mémoire assumée dont on se croyait certaine de la fiabilité et qui tourne au désastre et à l'incompréhension. Je ne suis jamais allée ici, où j'avais la certitude de mon passage, j'ai oublié et transformé la fin d'un récit, d'un film, d'une histoire lue ou entendue, j'ai fait erreur sur la personne, inventé, reconstruit, clamé une vérité qui s'effondre une fois la preuve en main!
On ne cible pas ici une faiblesse de l'acte de "mémorisation" qui serait due à la défaillance de l'imprimante cérébrale. Ce dont on parle est arrivé, il y a longtemps, on en est sûr, quand la mémoire était vaillante... et la tête l'a ré-écrit comme elle l'entendait.
Alors, quel témoignage mérite de figurer dans mon histoire? J'ai vu ceci, ou j'ai cru le voir, mon œil a recadré, en photographe diligent, cette image, cette scène unique et signifiante et, face aux preuves indubitables, se trouve absolument désemparé, se referme sans gloire dans la noirceur d'un récit surfait et mensonger.
Quel crédit accorder à ces souvenirs, ces affirmations, ces relations d'évènements tronqués et délirants, à l'incertitude qui brusquement envahit ce qui fut, ce qui fut moi, ce qui fut ma vie ? Le projet d'écriture du passé recomposé s'en trouverait vacillant dès le premier mot sur son socle de marbre attaqué par l'acide du passage temporel.
Quel crédit à toute histoire, à l'Histoire même qui prétend exposer ce qui a été vécu, parfois oublié, puis rétabli. A ce que , surtout, l'on n'a PAS VU, PAS ÉCOUTÉ alors que c'était à portée, juste devant le regard, juste à portée des oreilles qui, avant même d'enregistrer, se tournaient ailleurs et composaient le paysage et le texte et le film d'une autre vie qui n'a jamais été ?
Nous sommes fait de l'étoffe des songes, disait le grand William, comment acceptons- nous que ce rêve soit immiscé jusque dans nos souvenirs les plus marquants, les plus sincères, les plus explicites ?
Nées de la terre et du sel
Nées de la chair morte
Nées du vent qui porte à la pierre ce que le mot raconte
Coquilles de lait tiède durcies par les marées
Sarabandes d'os en cavale
Je vous reprends et je vous donne
La forme d'un rêve impossible
Vous dormez dans vos cages de silence
Et c'est moi qui ricane
Voilà donc ce défi "Inktober 2020" terminé.
Le confinement incite à prendre son temps pour continuer sur d'autres carnets, ou d'autres supports. Bon pour le moral, bon pour le plaisir. Bon pour le partage, non pour vouloir se faire encenser (ça n'en vaut pas la peine d'ailleurs) mais pour l'échange, gratuit.
(on peut voir tous les dessins sur les pages précédentes du blog... si on a envie)
28 octobre : FLOTTER
... entre deux eaux
29 octobre : CHAUSSURES
toujours prêtes à partir !
30 octobre : DE MAUVAIS AUGURE
Pas besoin d'en faire un roman !
31 octobre : RAMPER / SE TRAINER
Sable liquide, orage, fusion du corps mobile
Je ne sais pas
Je la regarde se trainer. Je la regarde
C'est le regard qui décidera de la noyade ou de l'espoir
Si c'est l'hiver ou bien l'été
Si c'est plaisir ou bien pitié
23 Octobre : DÉCHIRER, DÉCHIRURE
Voici le nom de celui qui a marché sur les routes d'exil
Voici la langue clouée, la chair à vif, la mer de sang
Voici le vide à venir et le passé décomposé
Que reste-t-il de lui, au delà des cicatrices, des arrachements
des DÉCHIRURES de son soleil ?
24 Octobre : CREUSER
25 Octobre : COPAIN
Celui qu'on reconnait toujours,
même au cœur de la foule anonyme
26 Octobre : CACHER
pas vu, pas pris
la nuit descend
rien fait, rien dit
juste innocent
27 Octobre : MUSIQUE
chanson d'enfance ( en canon)
Tout doit sur te-e-rre finir un jour ...
18 Octobre : PIÈGE
enfermement, explosif, dents de loup, filets, barbelés
déflagration, désolation, barreaux, engrenage, torture
élimination, absorption, destructions, infinités nuisibles de la haine
PIÈGE à Cons
19 Octobre : L' ÉTOURDI
la tête tourne et le corps ne sait plus
d'où vient ce temps noyé dans le ciel nu
le monde tourne, celui qui l'a tenu
a déjà oublié ce qu'il est devenu
20 0ctobre : CORAIL
Ne les appelait-on pas autrefois "train CORAIL" ?
Qui s'en souvient ?
21 Octobre : SOMMEIL
qui passe derrière mes yeux ?
qui gonfle mes paupières ?
combien de rêves n'ai-je pas résolus ?
combien de questions la nuit m'a-t-elle posées ?
que devient le SOMMEIL quand on a perdu la vue ? perdu la vie ?
Quand vais-je me réveiller ?
22 Octobre : CHEF CUISINIER
Patate cosmique
pour grand chef
étoilé
mercredi 14 octobre : Armure
Armé, encombré d'ARMURES
Qui se protège, et qui s'allège ?
Quand la matière devient piège
Sans un regret, sans un murmure
jeudi 15 octobre: Avant-Poste
AVANT (la) POSTE il y avait : des pigeons voyageurs
Avant le papier, le crayon : des grottes et du charbon de bois
Avant le téléphone : des signaux de fumée..
On s'arrange toujours pour laisser les messages : qui les reçoit, qui les lira ?
Après nous, le déluge... ou le retour à l'envoyeur ?
Vendredi 16 octobre
ON EST INSTAMMENT PRIE DE SUIVRE LA FLÈCHE
SOUS PEINE D'AMENDE
Samedi 17 octobre : TEMPETE
Le temps des tempêtes
Sous un crâne
Dans un verre d'eau
Semé par le vent
Récolté par qui le veut
et cœtera... et cœtera
suite du challenge de dessins. #inktober2020
autres textes et dessins, regroupés par 4 sur les pages précédentes
Vendredi 9 Octobre : JETER
JETER, jeter, rejeter
jeter l'arbre avec le papier
jeter la forêt avec l'eau du bain
jeter les morts comme des bouées
jeter ce qui dépasse, ce qui agace
jeter le plein avec le trop plein
jeter en vomissant des tombereaux d'ordures
sur le vide
de l'épuisement
Samedi 10 octobre : ESPOIR ( en hommage à Stanley Kubrick)
Quand on attendait 2001
Quand on attendait l'Odyssée
Quand l'ESPOIR tenait l'âme debout
et que le nouvel homme vibrait dans le ciel noir de l'infamie comme une délivrance
quand on ne lâchait rien
quand c'était pour demain
et qu'il faudrait, comme toujours
attendre ... après-demain !
Le dimanche 11 octobre
ou n'importe quel jour
de n'importe quel mois
les bombes
les armes
la guerre
les armes de guerre
c'est DEGOUTANT
Lundi 12 octobre : Glissant
Qui s'est glissé entre les pages ?
Est-ce le poète GLISSANT des Antilles rêvées ?
Est-ce la poésie ouvrant le livre avec ses clefs de mots ?
Est-ce l'écho d'un temps où le papier nous racontait ?
Ne te perds pas dans les rues pâles, dans les pages blanches, dans les maux incertains de l'hiver
Poète garde-nous dans le secret de l'île !
Mardi 13 octobre : DUNE
Femme de sable
Désert tremblant d'étoiles nues
La dune s'allonge
suite de dessins réalisés pour le challenge INKTOBER ( voir article précédent)...
Brouillons, délires, esquisses, explorations... textes et dessins font cause commune
Lundi 5 octobre
L'âme
LAME
l'arme
Larmes
Le 6 octobre, c'est RONGEUR
Voilà ce qui reste de toi !
et maintenant saurais -tu dire
ce qui a tout RONGé
Si c'est le temps ?
Si c'est le rat ?
Ou juste qu'il y avait trop de mots
pour une éternité
7 octobre : FANTAISIE à ma mesure
aux mensonges du réel
à l'effondrement des vérités
à l'indigence des vertus
à la sottise du bitume
j'oppose la FANTAISIE de ma tête sans cervelle
et de ma liberté
8 octobre : sur les DENTS !
Roue DENTée
pour aider
à mâcher le travail
Inktober est un challenge de dessins, (dont j'ignorais tout jusqu'à l'AG récente de l'asso Arrêt Création) qui se déploie sur tous les mois d'octobre, avec 31 mots servant de base à un thème journalier... #inktober2020
INK = encre et trait, dessin et texte... je ne me priverai donc ni de l'un ni de l'autre !
Tout cela vous a un petit air Oulipien* de contraintes stimulantes pour l'imaginaire, doublé d'un parfum surréaliste de "Cadavre Exquis"** auquel je ne résiste pas... Je considère ce challenge comme un jeu, un brouillon, dont les résultats ne sont pas aboutis mais emmènent sur des chemins potentiellement exploitables. Ou pas. On s'en fiche au fond, jouer et créer pour le plaisir de son cerveau et de sa main !
Aujourd'hui les 4 premiers jours d'Octobre (4 dessins, 4 textes)
Si je ne vais pas au bout j'accepte d'être mise à l'amende (virtuelle) !!!
*Oulipien : de OULIPO - Ouvroir de Littérature Potentiel - fréquenté notamment par Queneau et Perec. dont le principe est d'établir des contraintes formelles, puis de les traduire sous forme de textes , la rigueur devenant ainsi source de créativité.
** Cadavre exquis : jeu graphique ou d'écriture collectif inventé par les surréalistes. L'aspect collectif vient des mots imposés, et je l'espère, de la confrontation avec les inspirations de tous ceux qui y participeront, notamment à Concarneau
poème naïf du 1er jour d'Octobre : POISSON
Dans l'océan, tu trouveras
plus de plastique que de berniques
plus de ferrailles que d'écailles
plus de naufrages que de partages
plus de pétrole que de bestioles
mais alors...
où iront vivre les POISSONS
quand ils n'auront plus de maison ?
2 octobre : BRIN, MÈCHE
elle déroule une à une les MÈCHES de ses yeux
elle fait des ritournelles enchevêtrées de nœuds
elle a rempli le ciel avec du vent
et moissonné d'un trait la paille des serments
elle joue à dénouer chaque saison
traçant un tourbillon qui ne tourne pas rond
car moi, dit-elle encore
je fais ce que je veux
de mes cheveux
3 octobre : VOLUMINEUX, ÉPAIS
trop VOLUMINEUX dans le cadre
et trop de tout sur l'écran blanc
des désirs sans objet, des objets,
et trop de mots, trop d'impatiences
noyées d'ÉPAISseurs grises
pas assez de regards
et plus beaucoup de temps
4 octobre : RADIO
essayez donc la transparence
à l'ombre intérieure de vos corps
laissez venir le pas, et l'os
marchez pour voir dans les ténèbres
ne regardez jamais le temps RADIOgraphié à secondes comptées
ne vous arrêtez pas, si vous pouvez,
avant la fin de l'escalier