nous avons toujours besoin, finalement, que le trait existe, que la couleur se répande, que la rage se dessine, que le monde sorte de nos têtes
pour revenir à lui
pour devenir celui que nous avons créé, voulu, inventorié
durant le temps infime qu'il fallait pour le faire transparaitre
même s'il était mort-né
Parce qu'ils naquirent de l'obscur enchevêtrement des combats
veilleurs d'ombres et de silences infiltrés
Parce que l'on fit un mur qui bardait l'océan
Parce qu'on laissa durcir aux marées les morts innombrables
vint comme toujours un autre temps
la lumière a redonné couleurs au barrage des oiseaux
à ce qui tient des flux des reflux
la paix des armes tues
la paix des couleurs nues
la paix des bombes sans armures
des arts sans autres murs
que la douceur imaginaire et l'infini des soirs
Une publication de poèmes et d'images sur Calameo, pour explorer les villes de 3 continents, avec le hasard pour guide et le bonheur de la découverte en bandoulière ...
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ce qui se rencontre, et ce qui se raconte.
ce qui étonne, et ce qui interroge
ce qui est là, et ce qui se devine
l'image, l'histoire, la confrontation,
La question des mondes incertains
que les villes déplient sur leurs carapaces d'artifices
la beauté de l'inattendu
le nom de Prague résonnait d'un passé meurtri de chars, de printemps écrasé, de douleurs insoutenables. J'étais nourrie des films qui fleurissait dans l’espérance, c'était l'année de mes 19 ans.
le nom de Prague était Bohème, il devenait l'état de lieux qu'il fallait parcourir pour une vie sans complaisance et sans objet.
le nom de Prague était Moldau, dont les accents emportés avaient fixé le tracé d'un fleuve musical toujours ami.
et puis
il y eut la gare encombrée de bus, les échangeurs désordonnés, les immeubles roses et les foules animées
il y eut la Vltava aux rives abruptes, les ponts innombrables, les mille clochers, les cimetières, les adieux tragiques, les souvenirs réalisés
j'étais donc là, submergée d'images trop belles, ou trop conformes, ou trop soumises à l'avidité des étrangers qui se pressent dans les ruelles, comme on visite une vieille parente qu'on reconnait à peine
et puis
Kafka
l'homme vide et dense de métal poli
l'homme du sourire absent
l'homme semblable de la fraternité
Kafka de Prague chuchote l'essentiel
ce qu'on n'oubliera pas.
Partir le matin vers "Unter den Linden" (sous les tilleuls), avenue emblématique de Berlin pour passer "à l'Ouest" par la porte de Brandebourg. Succession de bâtiments démesurés, ministères, musées, opéras, universités, déposés là par les strates successives de la ville re- re-re construite au fil des orages du XXème siècle.
Se faire la réflexion que si l'on a transformé un immeuble grisâtre de Berlin-Est en un hôtel (le mien) tout aussi grisâtre mais évidemment plus confortable, si l'on a rebâti des palais sur des palais, des églises sur des églises, pour préserver l'histoire passée et repartir vers l'avenir, avec une colossale énergie et des finances qui ne le furent pas moins, c'est que nous, Homo Sapiens, avons cette capacité infinie à pérenniser des conditions de vie qui nous semblent être l'idéal immuable de ce que nous appelons progrès. Ce faisant, nous témoignons d'un désolant manque, d'imagination, de capacité de rupture, d'originalité visionnaire, et pour tout dire, nous laissons sans doute guider, plus que nous le croyons, par ce cerveau primitif qui nous dit : "protéger, enfermer, guerroyer..." pour assurer quoi ? la pérennité non pas de la race humaine totale, mais du petit clan auquel nous appartenons.
Inlassablement, nous reconstruisons ville sur ville, puis entrainons ruines sur ruines, et toujours, nous recommençons. Notre vive intelligence, notre ingéniosité sont constamment vouées à l'échec, car nous savons que cela échouera, disparaitra, et déployons pourtant des trésors ahurissants de volonté, de savoir-faire, de matériaux... et d'espérance !
Berlin est probablement à l'image de ce qu'elle fut, avec la tonalité ajoutée du siècle en cours, avec ça et là des ilots de mémoire qui racontent ses erreurs (comme ailleurs on raconte d'autres erreurs), et chacun s'en tire à bon compte, mais sans perspective "autre".
Mémorial des juifs, des tsiganes, des homosexuels, du mur de séparation... et toujours la même humaine chanson : moi d'abord ! reprise en chœur par les milliards de selfies devant chaque lieu remarquable... Et puis....
Sous l'arbre en fleurs
le printemps fait trembler
le mur de nos hontes
On se dit qu'après tout, nous serons peut être un jour capables de retrouver, non pas l'éternité, mais la fraternité puissante des herbes qui s'échappent du bitume !
Bus de nuit vers la Scandinavie, il y a quelques années, lueurs nocturnes et briques alignées. C'est Hambourg, vite traversée. Pour retrouver un jour les canaux glauques, le port immense, l'attirance du lointain.
Car les villes ne parlent pas, elles appellent. Leur débit de sirène est calibré par le grincement des grues et l'espace contraint du béton. Mais il y a toujours une eau qui sommeille, ou rutile. Un fleuve. Chemin d'où la ville s'élance sans compter, sans briser aux méandres arrondis les lignes cadencées de ses architectures, ou les couleurs arrogantes de ses murs vivants.
Dire : oui, je viens. Quartier de Sankt Pauli où caquettent les bordels, immeubles du vieux commerce qui musent en silence, audaces des vaisseaux de pierre, pyramides, pointes acérées des clochers agonisants, tous embarqués vers les eaux froides.
La ville n'est pas la nature, dit-on. Elle avale nos questions, nos rudesses, nos violences. Elle nous ressemble alors, bien plus que nous croyons. Voilà notre Nature. Notre paradoxale volonté.
Hambourg : elle a quelque chose de moi, qui n'aime pas la mer, et ne sait me passer de son exigence.
Elles surgissent du sable, des eaux, des corps morts, des roches cinglantes, traversées de chairs brûlées, gardées par le sel du temps, élevant parfois des comptines accordées à la marche et aux jours.
Peu à peu, j'en comprends le sens enfoui qui soulève la croute de mes illusions. "Au passage, prends-moi, disent-elles, emporte-moi dans l'autre néant de la cave et de la maison jaune!"
Souvent, j'obéis, chargeant mes poches, mes sacs, mes regards, de fragments arrachés aux grandes cicatrices du voyage.
Elles ne s'arrêtent pas là. Lorsque je dors, elles secouent la nuit de gémissements reconnaissables. "N'oublie pas que tes rêves se sont nourris des chemins parcourus. Que reste-t-il de nous ?"
Elles se lèvent encore et sarabandent au fond de la lumière, qui n'est pas une lumière, mais une diagonale d'atomes oubliés, une forme expiatrice des ravages et des incendies de la petite histoire.
Parfois je leur réponds, et parfois les ignore.
Quand le capharnaum monte et remonte jusqu'au cadre, je les enferme sans pitié pour leur vie sans objet. Elles-mêmes devenues objets, les Chimères rêveuses se laissent apprivoiser.
Et moi je dors tranquille.
Plus de vingt ans après avoir écrit une courte pièce de théâtre appelée "7 jours d'Icare", je retrouve le mythe à l'occasion de 3 linogravures qui m'ont conduit là où je ne pensais plus aller.
Sur une base d'aquarelle, ces trois linos ont été tirées à 6 exemplaires chacune... et sans trop l'avoir cherché c'est le thème qui s'est imposé à moi ..
Quelqu'un d'intéressé peut, s'il le désire, trouver le texte de cette pièce sur une page de ce blog
D'abord fermer les yeux
Laisser l'ombre trembler au bord des cils
Apprivoiser le ballet des phosphènes
Attendre...
On dit que la nuit engendre des monstres blancs
Mais derrière les paupières
Se déploient seulement l'exercice du vide
Et la poussière d'un rêve éteint