Un ami de mes amis, "voyageur pressé" (il se reconnaitra) qui a lu le bouquin, me pose une question, au milieu d'un commentaire plutôt agréable à recevoir, et ce , d'autant plus qu'il est écrit d'une encre qui me semble presque familière
"Je sais aussi que le voyageur pressé est toujours autiste quand il rentre à bon port et ferme ses volets pour se mettre à l’abri du jour comme de la nuit.
Là, vous serez indulgente car cette ambiguïté (ou cette difficulté) traverse vos mots et votre histoire.
Sinon je n’aurais pas pu mettre mes pas dans les vôtres.
De fait, c’est aussi cela que vous souhaitiez : qu’entre chacune de vos lignes, se glissent les nôtres, invisibles, bruissantes et impérieuses, nous invitant à partir sur nos propres chemins, à dériver vers nos paysages intimes.
C’est un peu comme votre annonce en couverture, en camouflage. Ces lettres n’en sont pas vraiment mais sont gorgées d’autres lettres, les vraies celles-là que vous gardez pour vous, nous laissant le soin de remplir les blancs, l’entre les lignes, de ce que nous garderons à notre tour pour nous.
Passe, passe à ton voisin ?
Ainsi dans vos « adresses », on s’emmêle parfois et l’on se trouve « ravi » par ces « vous » qui sont aussi un peu nous… Jusqu’où ?
Vous aimez nous piéger dans vos miroirs et vous le faites bien...."
et voici la question, qui n'en est pas une, ou à peine voilée
"Vous le dites très bien, ce noir de la peau et cet abîme ; ce n’est pas une figure de style, ils absorbent la lumière au risque de s’y perdre.
Ces corps dont vous ne parlez jamais ; ce n’était pas l’urgence ou c’est votre pudeur. Une autre fois peut-être ; cela me plairait de vous attendre à nouveau au détour de cet autre chemin car je ne connais pas de pas qui n’accompagnent un corps, même en sourdine ou au prétexte de l’enfance.
Ces corps si loin ont la couleur de l’encre comme un désir obscur et nous ne les habillons trop souvent que de pacotilles ou de fantasmes ravaudés à l’aulne de nos peaux diaphanes."
dont voici (une partie de) la réponse
"Sur les "corps", j'ai à dire des mots que j'ai roulés un peu dans ma tête, mais je ne veux pas trahir là non plus, surtout pas.
je lisais samedi dernier publiquement ( je suis "comédienne" aussi... enfin à l'occasion) un texte de René Depestre, écrivain haïtien, pour "lire en fête" à Concarneau.
j'aime beaucoup son écriture torrentielle
et c'est ainsi précisément qu'il parle du corps noir, "du fleuve musculaire de l'Afrique", "du minerai noir" des chairs réduites en esclavage
d'où ma pudeur sans doute
plus autre que de moi, plus pour eux mêmes que pour moi
si j'ai pu éprouver un jour ou l'autre une forme de désir, ou d'admiration "esthétique" je ne la dois pas à ce fleuve musculaire, mais à la rencontre d'être à être, je veux dire clairement que je n'ai pas de fantasmes à ce sujet, mais que c'est difficile de parler de la promiscuité digne, de l'extrême correction des corps qui se touchent constamment, des gestes qui sont toujours forts et simples, et dont, surtout, on ne parle pas, mais qui émeuvent, souvent.
j'ai peut être parlé du corps comme ils me l'ont appris, avec peu de mots, mais comme d'une rivière souterraine qui irrigue le discours, ou peut être comme je ne savais pas qu'il me fallait en parler moi même, de cette façon qui nous a rapprochés.
il me semblait que ma façon d'écrire trouvait aussi sa source dans cette absence de distance qui masque le regard, forcément
c'est très dur de lire dans ces yeux là, on ne peut que s'abandonner, parce qu'à l'évidence on ne lit rien, de mots écrits en noir sur une surface noire, comme dans cette nuit dont nous parlons
on "invente" alors, non pas des fictions, mais de nouveaux modes d'approche et de contact.
je ne voulais pas faire injure en parlant de choses qui seraient mal comprises
mais tout est sens, donc tout est sensuel, d'une certaine manière
comprenne qui peut !"
Merci, donc, à François, autre voyageur